Le racisme et l’antisémitisme sont aussi un problème en Suisse
par Michael Bischof ℹ
Une Brésilienne de 49 ans est victime de remarques racistes et est rouée de coups de pied et coups de poing sur les berges de la Limmat. Une jeune femme, brésilienne également, est victime de racisme anti-Noirs dans une épicerie. Un passant découvre des autocollants antisémites à Sihlcity. Ce ne sont là que trois exemples issus de la dernière chronologie des incidents racistes de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme GRA. Le point commun de ces trois incidents est qu’ils ont tous eu lieu dans la ville de Zurich. La présence dans la chronologie d’incidents s’étant produits dans la ville de Zurich est une bonne chose. À première vue, cette affirmation peut sembler paradoxale sous la plume d’un employé municipal. Pourtant, cette ville, qui a à juste titre la réputation d’être ouverte sur le monde, reste attentive face aux réalités sociales telles que le racisme et l’antisémitisme.
À Zurich, nous avons souvent aussi bien du mal à reconnaître ces réalités. [1] C’est pourquoi les initiatives telles que celle de la GRA, qui met également en lumière des incidents se produisant à Zurich dans sa chronologie, sont importantes. La mise en lumière implique toutefois que la lumière crée toujours aussi des zones d’ombre. Ainsi, la chronologie n’a pas la prétention d’être exhaustive. Ses auteurs sont conscients que de nombreux incidents ne sont pas portés à la connaissance du public et n’apparaissent donc pas dans la chronologie. La chronologie n’en est pas moins importante. Depuis 1992, elle attire chaque année l’attention sur le fait que le racisme et l’antisémitisme sont des problèmes sociaux qui concernent également la Suisse. Cet avis est partagé par une grande partie de la population. Ainsi, selon l’enquête nationale «Vivre ensemble en Suisse», deux tiers de la population suisse considèrent le racisme comme un problème social important. [2] Selon le baromètre national des préoccupations 2018, la part de la population considérant que le racisme et la xénophobie constituent l’un des cinq problèmes principaux en Suisse a significativement augmenté par rapport à l’année précédente. [3] La remarque selon laquelle la situation ne serait ici pas si dramatique en comparaison avec celle d’autres pays est inutile. Il n’est pas question de parler de l’intensité dramatique ni de se présenter comme un élève modèle sur la scène internationale. Et il n’est pas question d’utiliser l’information selon laquelle la situation est bien pire ailleurs pour échapper à nos responsabilités. En effet, ce qui compte dans les cas concrets, c’est que les incidents et les victimes reçoivent l’attention qu’ils méritent. En outre, un faible nombre d’incidents n’attire pas les félicitations des spécialistes. Des informations vraisemblables semblent montrer qu’un faible niveau de discrimination indique plutôt un manque de sensibilité. [4]
La discrimination largement répandue est une réalité.
Sur le lieu de travail et à la maison, les discussions sur le racisme et l’antisémitisme sont incroyablement souvent déconnectées de la réalité. Quelqu’un qui aborde le problème du racisme se heurte à de la distanciation et de la résistance [5] et doit s’entendre dire qu’il exagère et se base uniquement sur des sentiments subjectifs. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le racisme est toujours aussi une expérience subjective et émotionnelle. L’une des préoccupations de la lutte contre le racisme n’est-elle pas de respecter et de protéger la fragilité et la sensibilité des individus? En outre, d’où viennent les certitudes de ceux qui prétendent qu’il existe une trop grande sensibilité? Ne faudrait-il pas plutôt déplorer un manque de sensibilité?
Il faut prendre au sérieux les impressions et expériences des victimes. Selon un sondage à large échelle de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 90% des personnes juives interrogées constatent une montée de l’antisémitisme. La majorité des personnes interrogées observe également une augmentation de l’intolérance à l’égard des musulmans et une augmentation du racisme en général. Une grande partie des personnes interrogées craint d’être victime d’un acte antisémite dans l’année qui vient. [6]Dans les débats critiques envers l’intégration et la migration, on aime désormais évoquer régulièrement la nécessité de prendre au sérieux les «peurs de la population». Il est frappant de constater que l’on ne parle alors que rarement de la peur face au racisme et à la discrimination. C’est pourtant une réalité: un quart des jeunes de 17-18 ans dont au moins l’un des deux parents vient d’un pays africain considèrent qu’ils sont discriminés en Suisse à cause de leur origine. [7] La migration n’est alors que le motif affiché de l’exclusion. En réalité, elle est dirigée contre ce qui est prétendument «différent», selon des conceptions de la normalité associées à la société majoritaire et non remises en question. Cela a des répercussions: selon une enquête allemande, les personnes «dont l’apparence indique qu’elles sont issues de l’immigration se sentent bien plus souvent discriminées que les immigrés dont l’apparence ne les distingue pas de la population majoritaire par des caractéristiques telles que la couleur de peau ou un voile». [8]
Souvent, le statut social de la victime importe peu au racisme. Au contraire, ses manifestations s’associent souvent à d’autres types de discriminations, liées par exemple au statut social ou au sexe (discrimination multiple). Les personnes visitant des centres de conseil spécialisés dans le racisme sont plus souvent victimes de discrimination sociale et économique. Il est particulièrement difficile pour elles d’exiger le respect de leurs droits. [9] C’est à la lutte contre le racisme de relever ces défis. Il n’y a toujours qu’une infime minorité qui signale des incidents racistes et antisémites. [10] Parler de racisme ne peut pas être une question de statut ou de ressources ni la mission exclusive des victimes. Les pouvoirs publics doivent assumer une responsabilité à cet égard. La question de savoir quelle doit être la portée de leur engagement est toutefois controversée. L’approche selon laquelle la lutte contre le racisme par l’État doit se limiter uniquement aux poursuites judiciaires est assurément insuffisante. La discrimination raciale englobe davantage qu’une violation de la norme pénale contre le racisme. En définitive, le droit pénal n’est que le dernier recours contre les infractions publiques particulièrement graves. En outre, il se concentre exclusivement sur les auteurs. L’environnement dans lequel les victimes vivent et subissent du racisme est souvent occulté par des faits strictement définis. Il est complètement inadapté pour servir d’instrument de lutte contre les discriminations structurelles sur le marché du travail et de l’immobilier ainsi que les comportements irrespectueux ou blessants au quotidien (y compris dans l’administration).
Davantage prendre en compte les expériences personnelles
Quand l’on parle de racisme et d’antisémitisme, il ne faut pas oublier que les expériences et émotions personnelles dépassent les cas individuels. Pour les victimes, la discrimination est à la fois une expérience personnelle et émotionnelleet une expériencequ’ils partagent avec d’autres personnes. [11] Le fait que les gens vivent la discrimination différemment ne change rien au fait qu’ils partagent une expérience commune. L’expérience individuelle et les expériences collectives interagissent. Les expériences de discrimination des personnes noires évoquent des traditions terribles telles que l’esclavage, le colonialisme et la perpétuelle histoire du racisme contre les Noirs. Elles doivent donc toujours être évaluées dans ce contexte. [12] Quand des enfants et hommes de la communauté juive orthodoxe ont peur de quelqu’un qui les suit (incident issu de la dernière chronologie de la GRA), il faut évaluer cet incident dans le contexte des actes de violence et crimes antisémites. Peu importe si la personne en état d’ébriété qui les a suivis était animée par des motivations antisémites ou était «simplement ivre». Pour les victimes, cela reste une expérience liée à leur judéité, «alcool ou non». Ce point de vue des victimes doit être reconnu et pris en compte lors de l’évaluation. Il ne suffit pas de se demander s’il existe des motivations antisémites tombant sous le coup du droit. En bref, dans un cas isolé, la discrimination raciste ou antisémite n’est pas seulement un comportement individuel. Elle est aussi toujours l’expression de rapportsexistants et transmis au fil de l’histoire. Les motivations individuelles pour chaque cas en sont relativisées. Cela montre également que le recensement des incidents tels qu’il est fait dans la présente chronologie donne des informations précieuses sur les formes de manifestations du racisme et de l’antisémitisme.
La justice a tranché: l’utilisation de connaissances n’est pas un jugement de valeur
Cela a des conséquences sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il ne faut pas seulement des connaissances sur les comportements discriminatoires ou de la recherche sur les idées racistes et antisémites actuelles. Il faut surtout des connaissances sur les mécanismes transmis et historiques qui produisent la distinction raciste entre «nous» et «les autres» et renforcent durablement ces rapports. Dans l’opinion publique suisse, on a longtemps éludé les conséquences sociales du colonialisme, du racisme et de l’antisémitisme historiques ainsi que de leurs formes actuelles. [13] De telles connaissances sont cependant indispensables à la lutte concrète contre les discriminations. Elles constituent une base permettant de reconnaître les effets problématiques de comportements et règles apparemment neutres. Un exemple désormais connu du public d’une telle approche est le débat concernant le profilage racial et ethnique. Les raisons pour lesquelles les minorités sociales font sensiblement plus souvent l’objet de contrôles de police dans de nombreux pays européens sont complexes. On ne peut pas les réduire aux préjugés racistes des policiers. Un autre exemple est l’influences des débats publics. Ils influencent la perception envers les groupes exposés [14] et semblent avoir une influence sur le choix des cibles des actes discriminatoires concrets. [15] Les connaissances sont également nécessaires pour exposer les nouvelles formes de stéréotypes racistes et antisémites transmis. C’est pourquoi la sensibilisation requiert aussi toujours des connaissances.
Grâce à la GRA, il est désormais juridiquement prouvé que l’utilisation de ces connaissances n’est pas un simple jugementmais plutôt une évaluationcompétente et fondée. Comme le montre l’affaire GRA vs Suisse (ECHR 006/2018), la classification de propos comme «racisme verbal» n’est pas forcément un simple jugement de valeur. Au contraire, basée sur des connaissances spécialisées pertinentes, une telle évaluation a un fondement factuel. Il est important que des organisations telles que la GRA abordent la question du racisme et de l’antisémitisme, même si les cas isolés d’antisémitisme et de racisme ordinaires ne constituent que rarement une violation grave et recevable en justice des droits fondamentaux. Ils constituent tous les deux une atteinte à la dignité des individus et des petites attaques continuelles visant l’essence de nos droits fondamentaux.
ℹ Michael Bischof est directeur adjoint du bureau de promotion de l’intégration de la ville de Zurich.
Références bibliographiques
[1] Siehe dazu Stadt Zürich. 2018. Rassismusbericht 2017 [Link].
[2] Bundesamt für Statistik BFS. Erhebung Zusammenleben in der Schweiz (ZidS). 2016.
[3] Credit Suisse Sorgenbarometer 2018. S. 6.
[4] Siehe El-Mafaalani, Aladin. 2018. Das Integrationsparadox.
[5] Diese Distanzierung erfolgt dabei oft denselben Mustern. Siehe Messerschmidt, Astrid. 2010. Distanzierungsmuster. Vier Praktiken im Umgang mit Rassismus. In: Broden, Anne; Mecheril, Paul [Hrsg.]. 2010. Rassismus bildet. Bildungswissenschaftliche Beiträge zu Normalisierung und Subjektivierung in der Migrationsgesellschaft. Bielefeld.
[6] Siehe FRA 2018. Experiences and perceptions of antisemitism. Second survey on discrimination and hate crime against Jews in the EU.
[7] Siehe Baier, Dirk et al. 2019. Integration von Jugendlichen mit Migrationshinterfgrund in der Schweiz. Zürich. S. 47.
[8] Sachverständigenrat deutscher Stiftungen für Integration und Migration. 2018. «Wo kommen Sie eigentlich ursprünglich her?». Diskriminierungserfahrungen und phänotypische Differenz in Deutschland. Köln. S. 4.
[9] Locher, Reto. 2017. Der Zugang zur Justiz in Diskriminierungsfällen. In: Kaufmann, Claudia; Hausammann, Christina [Hrsg.]. 2017. Zugang zum Recht. Vom Grundrecht auf einen wirksamen Rechtsschutz. Basel. S. 55.
[10] Das zeigen etwa die EU-MIDIS-Umfragen der Europäischen Grundrechtsagentur. Siehe dazu auch Handfeld, Michael 2018. Sie melden es der Polizei nicht mehr. In FAZ online [Abfrage vom 27.01.2019, 09:58 Uhr].
[11] Siehe dazu Monique Eckmann, Monique. 2018. In: Stadt Zürich. 2018. Rassismus wirkt. Kommentare zum Rassismusbericht 2017. Tagungsdokumentation. Zürich. S. 17.
[12] Siehe. Hafner, Urs. 2018. Wir alle sind Rassisten. Es gibt keine Menschenrassen. Aber es gibt Rassismus. Und er ist überall, auch da, wo er eigentlich bekämpft wird. NZZ 19.9.2018.
[13] Symptomatisch hier etwa Bundespräsident Delamuraz Aussage in der Kontroverse rund um die Schweiz im Zweiten Weltkrieg, Auschwitz liege nicht in der Schweiz. Die Auseinandersetzung über die kolonialen Verstrickungen der Schweiz sind relativ jung. Siehe dazu Purtschert, Patricia et al. [Hrsg.] 2012. Postkoloniale Schweiz. Formen und Folgen eines Kolonialismus ohne Kolonien. Bielefeld.
[14] Zur «Flüchtlingsdebatte» siehe etwa Wehling, Elisabeth. 2016. Politisches Framing. Wie eine Nation sich ihr Denken einredet – und daraus Politik macht. Köln. Zur Berichterstattung über Muslime siehe Ettinger, Patrick. 2018. Qualität der Berichterstattung über Muslime in der Schweiz. Eine Studie im Auftrag der Eidgenössischen Kommission gegen Rassismus EKR. Bern.
[15] So stellt der DOSYRA-Bericht 2011 fest, «dass im Jahr 2010 ein beachtlicher Anteil der gemeldeten Fälle mit einer unterschwelligen, latenten, nicht näher definierten Ausländer- oder Fremdenfeindlichkeit, der Hautfarbe oder der muslimischen Religion in Zusammenhang standen, also mit Themen, welche in der schweizerischen Öffentlichkeit stark präsent waren.» Siehe Beratungsnetz für Rassismusopfer. 2011. Rassismusvorfälle in der Beratungspraxis. Januar bis Dezember 2010. Bern. S. 12.
Commentaire 2018: Le racisme en Suisse
Chronologie des incidents racistes
La chronologie des incidents racistes que la GRA publie en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) a répertorié un total de 46 incidents relayés par les médias suisses en 2018.
Ces incidents englobent pour l’essentiel de cas de racisme verbal dans le domaine public et des manifestations xénophobes, dont des discours haineux de politiques sur leurs profils sur les réseaux sociaux. Ces messages incitent à la haine envers les étrangers, les Noirs, les musulmans, les Juifs et les homosexuels. Mais les médias suisses ont également relayé en 2018 quelques incidents avec insultes racistes en marge de matchs de football, des insultes proférées à l’encontre de personnes à l’apparence étrangère dans la rue ou dans des commerces ainsi que des insultes antisémites dans la rue et sur Internet. On a aussi observé la présence à deux reprises de slogans xénophobes dans des cortèges de carnaval, mais aussi des rencontres et manifestations d’extrême-droite ainsi qu’un cas de minimisation publique de l’holocauste par un politique. Les médias ont également rapporté à plusieurs reprises la présence d’inscriptions xénophobes.
Focus sur le racisme ordinaire du point de vue des victimes
L’observation des médias par la GRA reflète l’ambiance générale en Suisse et permet de comparer le nombre d’incidents par rapport aux années précédentes, mais elle n’a en aucun cas la prétention d’être exhaustive sur le plan statistique. En effet, le nombre d’incidents racistes non signalés reste élevé en 2018.
Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont encore plus rares. Plus les lieux d’accueil (publics et privés) se font connaître auprès du grand public, plus le nombre d’incidents signalés est élevé. Et les chiffres ne peuvent pas exprimer tous les incidents, aussi et surtout parce que la Suisse ne tient aucune statistique officielle concernant le racisme et la discrimination raciale.
Outre les incidents relayés par les médias, de nombreux cas ont été signalés presque quotidiennement à la GRA, que ce soit via le site Internet de la GRA, par e-mail ou par téléphone. Nombre de ces incidents concernaient les discours haineux (sites Internet à contenu raciste, racisme dans des conversations Whatsapp ou sur des profils sur des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram ou Twitter) mais aussi le racisme ordinaire (insultes ou discrimination lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement, ou encore, comme signalé dans un cas, lors de l’ouverture d’un compte en banque). La GRA a lancé une campagne en ligne au printemps 2018 pour sensibiliser à la thématique importante qu’est le racisme ordinaire (https://gra.ch/fr/auslaendler/). Le clip intitulé «Der Ausländler» a remporté le prix suisse récompensant les productions de commande et films publicitaires Edi.18, qui est décerné chaque année par la Swissfilm Association.
Dans son rapport sur le racisme, la ville de Zurich écrit à propos de la discrimination raciale et du racisme ordinaire, entre autres, à quel point il est important de prendre au sérieux les expériences de discrimination personnelles des minorités. Au quotidien, les membres de minorités subissent souvent un racisme insidieux, que les personnes extérieures ou non concernées ont du mal à comprendre. «L’importance de considérer le point de vue des personnes concernées se manifeste par exemple en matière de racisme ordinaire. Les personnes ne subissant pas de discrimination n’arrivent souvent pas à comprendre les effets du racisme ordinaire. Ainsi, le racisme ordinaire est souvent minimisé», écrit la ville de Zurich dans son rapport. Et de poursuivre: «Les personnes qui abordent le racisme ordinaire et insidieux expliquent qu’on les considère comme «trop sensibles»ou «fragiles». C’est pourquoi il est difficile de parler de racisme ordinaire dans des situations concrètes.»
Des incidents racistes non relayés par les médias sont également publiés chaque année dans un rapport sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil par le «Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme», qui est coordonné par humanrights.ch/MERS et la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Ces rapports évaluent les cas saisis dans une base de données commune de manière anonyme par les centres de conseil affiliés. Par ailleurs, la CFR publie au début de l’été un rapport annuel relatant les décisions et les jugements rendus sur le plan national et international en matière de discrimination raciale dans différents domaines de l’existence (www.ekr.admin.ch).
Xénophobie et extrémisme
Une étude menée par deux enseignants de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et la Haute école pour le travail social de Fribourg montre également que la xénophobie insidieuse au quotidien et le rejet de l’«étranger» sont toujours présents dans de nombreuses têtes. Dans le cadre de l’étude, 8000 jeunes issus de dix cantons ont été interrogés en 2017: il en ressort que six pour cent des jeunes suisses sont d’extrême droite et sept pour cent d’extrême gauche. Seuls trois pour cent des jeunes musulmans interrogés étaient des extrémistes islamistes. Comme l’explique le professeur Dirk Baier de l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la ZHAW, coauteur de l’étude, il en ressort qu’il ne faut en aucun cas relâcher les efforts en matière de prévention, même en période de recul du nombre d’actes de violence. En 2017, la Suisse a certes lancé le Plan d’action national, qui montre que la prévention est importante pour elle, mais, selon Dirk Baier, ce plan se focalise encore trop sur l’extrémisme islamiste. «Le monde politique doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention», explique Dirk Baier. Il ressort également de l’étude que la majorité des jeunes Suisses ne s’identifient pas à des positions extrémistes et adhèrent plutôt aux valeurs démocratiques. Selon Dirk Baier, cela signifie aussi que les écoles jouent un rôle important dans la prévention et l’éducation, et que l’éducation à la démocratie est mise en œuvre correctement.
(La GRA a interrogé Dirk Baier à la suite de la publication de l’étude. Retrouvez l’entretien complet ici)
La GRA a aussi reconnu que les écoles constituent un acteur important dans la sensibilisation et la prévention du racisme. Elle les soutient et développe continuellement des outils d’apprentissage relatifs aux thématiques du racisme et de l’antisémitisme, ainsi qu’à l’holocauste, pour les écoles et instituts de formation (pour en savoir plus: www.gra.ch/fr/education/education-et-formation).
En outre, la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET), organisation partenaire de GRA qui s’engage entre autres pour la promotion de la tolérance auprès des enfants en âge préscolaire, a été relancée en octobre 2018.
Antisémitisme
La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), qui recense les incidents antisémites, a répertorié 42 incidents antisémites en 2018. Ceci n’inclut pas les incidents sur Internet, qui sont analysés séparément. Ce chiffre n’englobe donc que les incidents en dehors d’Internet signalés à la FSCI ou évoqués dans les médias. En 2018, les faits les plus graves ont été une attaque au couteau contre un groupe de Juifs orthodoxes à Zurich, plusieurs insultes envers des Juifs dans la rue ainsi que le discours ouvertement antisémite de Tobias Steiger lors de la manifestation du PNOS à Bâle. Retrouvez le rapport complet de la FSCI sur l’antisémitisme sur le site www.antisemitisme.ch.
En 2018, la GRA a aussi dû davantage s’occuper d’incidents antisémites qui lui avaient été signalés. Il était surtout question de conseils pour des enseignants et d’incidents sur des terrains de sport et dans des écoles, notamment dans des lycées. Le problème du racisme existe dans les écoles du degré secondaire supérieur autant que dans les collèges et écoles professionnelles. La GRA se présente comme un interlocuteur pour les directions des écoles ainsi que les personnes concernées et peut jouer un rôle de médiateur dans les conflits et aider à trouver des solutions. Comme le montrent également les rapports annuels de la CFR sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil, l’école est, après le lieu de travail, l’endroit le plus concerné par les incidents racistes. Ce sont surtout les jeunes Juifs qui en sont victimes, mais aussi les musulmans et les élèves noirs. Le point de départ est souvent des insultes dans des discussions Whatsapp ou sur les réseaux sociaux (www.gra.ch/fr/education/comportement-face-au-racisme-et-a-lantisemitisme-a-lecole), qui créent une dynamique difficile à arrêter. Pour cette raison, les écoles ont désormais davantage besoin de projets de prévention et de tolérance, c’est pourquoi la GRA a aussi, comme mentionné plus haut, relancé la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET) l’année dernière. Elle doit justement répondre à ce besoin.
Extrême droite
Le rapport de situation du Service de renseignement de la Confédération souligne que la thématique des réfugiés et de la migration a continué de perdre du terrain après le pic de 2015, parallèlement à la baisse des flux migratoires. La scène d’extrême droite a donc encore moins de motifs pour justifier l’organisation d’actions notables. Le Service de renseignement écrit que «la scène d’extrême droite fait profil bas comme jamais depuis des décennies» et que le potentiel de violence des extrémistes de droite reste inchangé. Pourtant, la chronologie des incidents racistes 2018 répertorie un nombre de défilés et rassemblements d’extrême droite légèrement supérieur à celui des années précédentes. L’importance sociale de la scène d’extrême droite reste toutefois réduite en Suisse par rapport à l’étranger.
Islamophobie
L’année dernières, plusieurs incidents islamophobes sont parvenus à la connaissance du public, par exemple un cas de discrimination à l’entrée d’une boîte de nuit ou des messages islamophobes sur Facebook à l’encontre d’un homme politique musulman, pour ne citer que ceux-là.
En 2018, l’institut de recherche Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft de l’Université de Zürich a également réalisé une étude sur la qualité de la couverture médiatique des musulmans de Suisse à la demande de la CFR. L’étude a analysé un échantillon d’articles publiés entre 2009 et mi-2017 dans 18 médias papier des trois grandes régions linguistiques. Elle est arrivée à la conclusion qu’il y a une forte augmentation du nombre d’articles créant de la distance par rapport aux musulmans de Suisse. Ainsi, la part d’articles à connotation négative est passée de 22% à 69% entre 2009 et 2017. Cela s’explique en partie par la concentration sur les thèmes de la radicalisation et du terrorisme, comme le soulignent les auteurs de l’étude. Toujours selon l’étude, la presse présente surtout des musulmans affichant des positions radicales et parle généralement des musulmans en Suisse sans leur donner la parole.
Il s’agit déjà de la troisième étude de la CFR sur les minorités dans les médias. En 2013, une étude comparable a été réalisée à propos des Roms, et, quatre ans plus tard, concernant le racisme anti-Noirs. Il était aussi question du rôle que les médias peuvent jouer dans la lutte contre les discriminations. L’étude a mis au jour que les médias jouent un rôle parfois problématique dans la couverture médiatique des minorités.
Sinti et Roms
En 2018, la chronologie de la GRA a recensé seulement deux incidents concernant les Sinti et Roms. L’un d’entre eux est cependant grave: les Jeunes UDC de Berne ont incité à la haine envers les gens du voyage avec une affiche électorale. Malgré le faible nombre d’incidents révélés au public, la Suisse est encore loin de traiter correctement la minorité nomade. C’est ce que confirme l’avis sur la Suisse émis récemment par le Conseil de l’Europe pour la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. L’avis observe un manque d’aires de stationnement et de passage ainsi qu’une augmentation de l’intolérance à l’égard des Yéniches, Sinti et Roms. L’avis souligne également la discrimination à l’encontre des gens du voyage étrangers par rapport aux gens du voyage suisses ainsi que le fait que la reconnaissance des Roms comme minorité nationale n’ait toujours pas été mise en œuvre.
Mot de conclusion
Internet et ses diverses plateformes restent le principal lieu de diffusion du racisme et de l’antisémitisme verbaux. L’accès facile à des contenus et publications discriminatoires sur Internet, la vitesse effrénée à laquelle les textes circulent ainsi que l’abondance de textes font de la communication en ligne un lieu d’échange important de propos haineux de toutes sortes. Les discours haineux peuvent facilement conduire à de la violence dans le monde réel.
Le nombre d’incidents racistes non signalés reste également élevé en Suisse. Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont rares.
En 2018, l’accent a été mis sur la sensibilisation de l’opinion publique suisse au problème du racisme ordinaire. Avec leur campagne nationale sur Internet et la réinterprétation de «Schacher Seppli», la GRA et la GMS luttent en musique contre toutes les formes de racisme ordinaire.
La prévention et la sensibilisation précoces dans les établissements scolaires, mais aussi le courage civil ainsi que des déclarations politiques claires restent indispensables pour lutter efficacement contre le racisme et la discrimination raciale. En effet, chaque attaque contre une minorité représente également une attaque contre les valeurs démocratiques de notre société.
Dans ce contexte, la chronologie de la GRA continuera d’assumer son rôle principal, celui de chien de garde, ainsi que d’évaluer de manière critique et de répertorier de façon systématique et selon des critères et catégories éprouvés les actes racistes, xénophobes et discriminatoires en Suisse, afin que les incidents discriminatoires qui s’y produisent actuellement soient rendus visibles et soient consignés et archivés pour les générations futures.
Entretien avec le professeur Dirk Baier à propos de l’étude «Idées extrémistes chez les jeunes Suisses»
Monsieur Baier, quelles conséquences tireriez-vous des résultats de l’étude? En d’autres termes, dans quel domaine faut-il agir en priorité selon vous?
Selon moi, l’une des conséquences principales de l’étude est d’abord la sensibilisation d’acteurs de toutes sortes. Par exemple, l’extrémisme de droite semble reculer en Suisse ces derniers temps. Les chiffres du Service de renseignement de la Confédération à cet égard baissent sensiblement. Nous avons cependant pu montrer que des idées d’extrême droite sont présentes dans les têtes de certains jeunes. Il y a toujours des comportements xénophobes, racistes et antisémites en Suisse. Une conclusion importante serait donc que la prévention ne doit en aucun cas être négligée, même en période de recul des actes de violence. Avec le Plan d’action national, la Suisse a montré que la prévention est toujours importante pour elle. Il se focalise néanmoins encore trop sur l’extrémisme islamiste. Au niveau politique, il faut affirmer que l’on doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention. Pour moi, il est important de souligner à cet égard que l’étude ne donne pas lieu de remettre en question tout ce qui a été fait par le passé. Même si l’enquête a fait apparaître des idées extrémistes, elle a aussi montré que la grande majorité des jeunes n’est pas d’accord avec les prises de position extrémistes et s’identifie plutôt à la démocratie et aux principaux principes démocratiques. À cet égard, les écoles jouent un rôle important. La formation à la démocratie semble être mise en œuvre correctement. Une autre conséquence que je tirerais des résultats est l’intensification de la prévention de l’extrémisme de gauche. Il n’existe jusqu’à présent que peu de stratégies de prévention de ce phénomène, très probablement parce qu’il y a des désaccords sur la frontière entre les idées démocratiques et les positions d’extrême gauche. Il faut donc différents acteurs pour développer ces stratégies. Selon moi, il y a, par exemple, une responsabilité de la part des scientifiques et universités.
Selon vous, quels groupes extrémistes représentent la plus grande menace?
La plus grande menace vient sans hésiter de groupes qui mettent impitoyablement en danger la vie d’individus, commettent des attentats et tuent pour défendre leurs objectifs. Je ne pense actuellement pas qu’il existe de tels groupes en Suisse. On ne peut pas exclure la possibilité qu’une personne isolée commette un tel acte. L’Allemagne a montré à plusieurs reprises que les véhicules, c’est-à-dire des objets accessibles à tout un chacun, peuvent être utilisés à cet effet et que les armes ne sont pas nécessaires. Je doute cependant qu’il y ait des groupes avec de tels projets. Quand nous parlons de menace, nous parlons d’un autre type de danger. Les groupes d’extrême gauche représentent actuellement le mouvement le plus actif en Suisse, mais ils s’expriment surtout par de la violence contre des biens matériels. Dans des cas isolés, on observe aussi des attaques contre des policiers. On ne peut pas les ignorer. Il n’existe toutefois pas de stratégie de violence contre les policiers, c’est-à-dire de qu’il n’y a pas d’attaques contre les commissariats, etc. Même s’il faut évoquer l’extrême gauche, il est globalement difficile pour moi d’établir une sorte de classement des groupes extrémistes en fonction de leur dangerosité. Bien que l’étude montre des taux d’approbation différents pour chaque type d’extrémisme, le résultat important est selon moi que toutes les idées extrémistes sont bien accueillies par un petit groupe de jeunes. Toutes les formes d’extrémisme présentent donc un potentiel. La question est de savoir si ce potentiel sera activé. Y a-t-il des événements qui poussent les jeunes à agir conformément à leurs idées? À Chemnitz, en Allemagne, nous avons vu comment un meurtre probablement commis par un réfugié a poussé des extrémistes de droite à agresser des réfugiés innocents. De tels événements déclencheurs sont aussi imaginables pour d’autres extrémismes. Globalement, cela signifie que tous les types d’idées extrémistes représentent un problème, parce qu’elles comportent un schéma «ami-ennemi» qui peut pousser à combattre violemment les personnes déclarées ennemies.
Comment expliquez-vous le potentiel de violence relativement bas des jeunes extrémises en Suisse par rapport à d’autres pays? Qu’est-ce que la Suisse ferait mieux que les autres?
Il n’existe actuellement pas de recherche systématique sur l’extrémisme comparant les pays. Nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude que la Suisse présenterait des chiffres inférieurs à la moyenne. L’hypothèse selon laquelle ce serait le cas est cependant légitime. En matière de délinquance juvénile et violence des jeunes, par exemple, nous savons que la Suisse fait bonne figure. Les raisons de cet état de fait pourraient également être efficaces dans la prévention de l’extrémisme. Il faut dire, entre autres, qu’il y a de bonnes perspectives pour les jeunes de finir l’école et de trouver une formation professionnelle puis un emploi. En Suisse, les familles pauvres et défavorisées ne sont pas non plus livrées à elles-mêmes, comme c’est le cas aux États-Unis. Il existe différentes mesures de soutien, telles que l’aide sociale, qui aident les familles financièrement. En Suisse, les écoles sont aujourd’hui sensibilisées aux thématiques de la violence et de l’extrémisme et mettent en œuvre différents projets de prévention, même s’il y a encore de potentiels progrès à faire en ce qui concerne l’extrême gauche. À cet égard, il convient aussi de mentionner le travail social dans le domaine de la jeunesse, par exemple le travail actif avec les jeunes en milieu ouvert. Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux des individus sont moins anonymes dans les villes de Suisse plutôt petites ou moyennes. On connaît mieux les habitants de son quartier, par exemple, on veille davantage les uns sur les autres et, comme le diraient les criminologues, on se contrôle davantage mutuellement dans son comportement. Il faut cependant aussi souligner que tout n’est pas encore parfait en Suisse. Ainsi, nous savons que l’on a plus souvent recours à la violence physique pour l’éducation des enfants que dans d’autres pays. Ces formes d’éducation ont aussi des répercussions sur les préjugés et le développement d’idées préconçues constituant la base de l’extrémisme. Le monde politique pourrait agir encore plus activement contre la violence dans l’éducation des enfants.
Monsieur Baier, merci pour cet entretien.
ℹ Le professeur Dirk Baier travaille à l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et a coécrit l’étude sur les idées extrémistes chez les jeunes Suisses.
Thématique duprofilage racial: exemple illustrant la discrimination structurelle en Suisse
par Andi Geu ℹ
Sékou A. descend du train en même temps que des centaines d’autres passagers. Nous sommes tôt le matin, dans une grande gare suisse. Les gens se hâtent sans hésiter vers la sortie ou les escalators qui mènent vers les correspondances. M. A. travaille depuis plusieurs mois dans la grande ville. Il porte un sac à dos et a un gobelet de café en main. Il traverse lentement la foule. Il voit une patrouille de la police locale accompagnée d’un chien policier à quelques mètres de lui. Les policiers examinent les passants. Est-ce que ça va arriver encore une fois? Sékou A. n’est pas en avance. Le train avait du retard. Pourtant, il est la seule personne de la foule à être interpellée: «Vos papiers, s’il vous plaît?»
Depuis quelques mois, on parle de plus en plus du phénomène du profilage racialen Suisse. C’est en partie dû à l’intérêt croissant des médias pour la violence policière aux États-Unis et le mouvement #BlackLivesMatter, qui ont aussi fait les gros titres en Suisse. C’est aussi dû à une procédure judiciaire au niveau local en Suisse, qui a poussé la presse à en parler et a provoqué une augmentation de la recherche sur ce phénomène. À cet égard, l’Alliance contre le Racial Profiling (www.stop-racial-profiling.ch), une association de personnes et organisations investies dans la lutte contre le racisme structurel, ainsi que différents projets de dialogue d’institutions et de la société civile ont réussi à faire connaître la thématique au grand public.
Terminologie
L’expressionprofilage racialdésigne toutes les formes de contrôles discriminatoires à l’encontre de groupes de personnes perçus comme «différents» d’un point de vue ethnique ou religieux par des policiers.
La notion de profilage racialvient des États-Unis, où ce sont surtout les Afro-Américains et personnes avec des origines latino-américaines qui font l’objet de contrôles de police plus souvent que la moyenne. À cet égard, on parle aussi de profilage ethnique, parce que la couleur de peau ne représente pas le seul critère donnant lieu à des contrôles abusifs. En Suisse, ce sont, outre les individus à la peau foncée, les personnes originaires des Balkans (surtout les Roms) et des pays arabes ainsi que les musulmans qui sont concernés par ces contrôles de police injustifiés.1
Le profilagedésigne le fait de cataloguer des individus dans un but précis. On les classe dans des catégories sociales, par exemple en fonction du sexe, de l’âge, de la classe sociale, de l’ethnie, du rôle social, de l’orientation sexuelle, etc. Ce processus a lieu de manière spontanée dans tous les rapports interpersonnels. Dans certains contextes, la catégorisation sociale est utilisée comme méthode pour atteindre certains objectifs. Ainsi, un recruteur de joueurs cherche des footballeurs en utilisant certains critères de recherche (défenseur, moins de 21 ans, moins de 100 000 francs, etc.). Une spécialiste en marketing essaye de déterminer le public cible de son produit en identifiant certaines particularités du produit et en les associant à certaines catégories sociales, qui permettent ensuite de définir le groupe cible. Ces deux exemples constituent du profilage au sens de la catégorisation d’individus dans un but précis.
Le profilage est également une méthode de travail importante pour la police, surtout pour les enquêtes liées à un délit. Un profil de l’auteur est alors créé sur la base des témoignages, indices sur le lieu du délit et hypothèses concernant le déroulement des faits. Il comprend, entre autres, des caractéristiques sociales. Si la police tombe sur des individus correspondant à ce profil, ceux-ci sont considérés comme suspects et sont contrôlés. Tant que ces profils se basent sur des faits objectifs, qui constituent des indications sérieuses statistiquement prouvées d’activités criminelles, il n’y a rien à redire concernant ce profilage criminel.
Profilage problématique
Ce n’est pas la première fois que la police demande à Sékou A. de présenter ses papiers. Ça arrive parfois tous les mois, parfois même toutes les semaines. Il a déjà essayé plusieurs réactions: il est généralement poli et présente son passeport suisse, qu’il a toujours sur lui quand il n’est pas à la maison. Autrement, il ne fait que se compliquer la vie. Mais Sékou A. s’irrite aujourd’hui d’être une fois de plus contrôlé alors que tous les autres voyageurs peuvent tranquillement poursuivre leur route. Il demande: «Y a-t-il des éléments concrets qui vous poussent à me contrôler?»
Le profilage ethnique devient un problème quand la méthode est utilisée de manière discriminatoire. Dans la pratique, ce reproche est surtout fait en lien avec des contrôles par la police et les autorités chargées de la surveillance des frontières, et ce quand deux conditions sont remplies:
- Le comportement de la personne contrôlée ne justifie pas un contrôle.
- La personne contrôlée est perçue comme «étrangère» d’un point de vue ethnique ou religieux par le personnel de sécurité en raison de son apparence.
Dans un tel cas, il est très probable que la catégorisation dans un groupe constitue la raison principale du contrôle. Cela doit être considéré comme une différence de traitement objectivement injustifiées, c’est-à-dire une discrimination illégale.
Profilage objectivement justifié
Par contre, quand la catégorisation ethnique ou religieuse constitue un élément objectivement justifié, par exemple dans le signalement d’une personne recherchée, il s’agit aussi de profilage, mais il ne présente pas de caractère discriminatoire, parce qu’il est objectivement justifié.
En Suisse, la police a pour mission, entre autres, d’appliquer les mesures relatives au droit des étrangers. Dans la réalité, il est ainsi souvent difficile de prouver si un profilage est injustifié, et donc raciste, ou s’il ne l’est pas. Un contrôle peut par exemple être justifié en se référant au droit des étrangers, mais le sentiment subjectif d’exclusion et de contrôle abusif est toujours présent chez les personnes concernées, surtout quand elles discutent avec des connaissances à la peau claire à propos de la fréquence à laquelle elles sont contrôlées par la police.
Discrimination structurelle
Quand l’on essaye de discuter avec la police de profilage raciste, elle affirme souvent qu’il s’agit de cas isolés particulièrement rares, qui sont combattus en interne. On explique souvent que ces cas concernent des policiers débutants et inexpérimentés. Ces explications contredisent cependant les descriptions faites par de nombreuses personnes concernées par le profilage raciste, qui ne sont pas seulement contrôlées par des jeunes agents et se sentent tout de même discriminées.
Au contraire, le profilage raciste semble être un phénomène qui constitue un exemple typique du fonctionnement de la discrimination structurelle. La discrimination structurelle se produit le plus souvent quand les actes de discrimination ne sont pas dus à de mauvaises intentions d’individus mais se manifestent bien trop souvent. Les raisons de ces biais peuvent par exemple être des pratiques historiques, des préjugés ou des privilèges. Il s’agit généralement d’une combinaison de différents facteurs qui fait que, par exemple, les enfants issus de l’immigration sont plus souvent envoyés dans des écoles ne permettant pas l’accès à l’université, que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs offrant des conditions de travail précaires et des salaires peu élevés ou que les personnes à la peau foncée sont plus souvent contrôlées par la police.
Les conséquences pour les personnes concernées sont néanmoins graves. C’est justement dans de tels cas que de nouveaux processus, décisions et dispositions sont nécessaires afin de changer le système structurellement discriminant. L’institution dans son ensemble doit s’engager dans la lutte contre les discriminations culturelles. Il s’agit donc d’une thématique-clé pour chaque institution. Les employés, aussi pleins de bonne volonté soient-ils, ne pourront apporter que des changements limités sans le soutien de leur direction. Un soutien investi en interne pour une thématique dans la majorité des institutions est cependant nécessaire pour pousser la direction à changer les choses. Il existe de nombreuses approches possibles pour que les corps de police s’attaquent au phénomène du profilage racial au niveau structurel: dans le recrutement, dans la formation et la formation continue ainsi que dans l’assurance qualité pour les contrôles, dans le dialogue entre la police et les groupes de personnes souvent contrôlés, dans le traitement des plaintes des personnes contrôlées ou la consignation des contrôles effectués, ou encore dans le système de tickets2, souvent réclamé sur la scène politique.
Bilan
La conduite calme et polie de Sékou A. a porté ses fruits. La patrouille de police a remis son comportement en question, a renoncé à contrôler l’identité de M. A. et lui a présenté ses excuses.*
Cependant, nous n’avons pas besoin de policiers «plus sympathiques» pour réduire le nombre de cas de profilage raciste (et d’autres formes de discrimination structurelle) et arriver à davantage de réactions telles que celle de l’exemple ci-dessus. Ce n’est que si les polices assument leur responsabilité et prennent la décision au niveau institutionnel et au niveau de la direction qu’il s’agit en effet d’un problème structurel auquel il faut apporter une solution. Ainsi, cette réaction deviendra habituelle et les contrôles ethniques objectivement injustifiés disparaîtront.
*L’exemple de Sékou A. a été créé à des fins d’illustration.
ℹ Andi Geu est codirecteur de NCBI Suisse, le National Coalition Building Institute Suisse. Il a étudié la philosophie, la sociologie et la théologie à l’Université de Berne et travaille pour NCBI à titre d’activité principale depuis 2003.
Références bibliographiques
[1] Retrouvez des informations contextuelles supplémentaires concernant le phénomène du profilage racial dans le dossier thématique de humanrights.ch (cf. https://www.humanrights.ch/fr/dossiers-droits-humains/racisme/delit-de-facies/) ainsi que dans un document en allemand de l’Alliance contre le Racial Profiling (accessible à l’adresse www.stop-racial-profiling.ch/wp-content/uploads/2016/10/Dokumentation_def.pdf).
[2] L’idée d’un système de tickets pour les contrôles de police prévoit que les corps de police cantonaux et municipaux délivrent à la personne contrôlée un ticket reprenant par écrit le but, le lieu, l’heure et le motif du contrôle. L’objectif est d’arriver à une gestion des contrôles plus consciencieuse et réfléchie et de donner aux personnes régulièrement contrôlées une preuve qu’elles font souvent l’objet de contrôles.
Le dialogue interreligieux comme instrument de prévention de la discrimination
par Marc Bundi ℹ
Le dialogue interreligieux qualifie le processus de communication et de coopération entre croyants de différentes religions et de différents horizons culturels dans un climat de respect mutuel. Les participants au dialogue se reconnaissent les uns les autres comme des partenaires égaux dans leurs différences fondamentales. Ils sont ouverts à leur tradition religieuse et à celle des autres et respectent les convictions religieuses différentes. L’objectif est de surmonter les revendications d’absolutisme et d’exclusivité de sa religion et de mettre sur un pied d’égalité les revendications de vérité des différentes religions.
Le dialogue interreligieux est cependant aussi un projet social visant la coexistence indépendante, équitable et pacifique de personnes de différentes religions. À cet égard, il faut respecter les différences tout en cherchant une base commune permettant de construire une cohabitation sociale fructueuse dans un respect réciproque et en bonne intelligence.
L’objectif principal du dialogue interreligieux, au niveau local, social et international, réside dans la promotion d’une coexistence pacifique et égalitaire ainsi que dans la prévention de la radicalisation.
Depuis les années 1990, les processus de migration, d’individualisation et de différenciation ont créé en Suisse un paysage religieux et idéologique hétérogène. La pluralisation religieuse croissante et la sécularisation progressive de la société provoquent des changements dans les relations entre l’État et la religion. Le canton de Zurich a réagi à ces changements et a présenté un guide pour l’organisation des relations entre l’État et la religion en novembre 2017. Son premier principe établit que les Églises et communautés religieuses sont essentielles pour la communauté, parce qu’elles contribuent à la construction d’un socle de valeurs, qui est indispensable pour la communauté et que l’État laïque ne peut lui-même créer. Ainsi, la reconnaissance par l’État du rôle social important de la religion pour l’organisation de la communauté est orientée vers l’avenir. Son deuxième principe établit que les religions préservent la paix publique et participent à la création d’une coexistence solidaire et pacifique en transmettant des valeurs telles que l’amour du prochain, la tolérance et la non-violence. Avec l’État, les communautés religieuses sont aujourd’hui des acteurs centraux pour une coexistence pacifique et tolérante, au même titre que d’autres acteurs de la société civile. À cet égard, les Églises reconnues par l’État, en tant qu’organisations intermédiaires, sont conscientes de leur rôle social et politico-religieux particulier pour la paix religieuse et sont prêtes à développer et à approfondir le dialogue interreligieux. Elles s’efforcent également d’aider les communautés religieuses nouvellement arrivées à s’adapter au système du droit des religions en vigueur et à s’intégrer dans la société. En raison du détachement croissant de la société envers la religion et de la pluralisation religieuse dans le contexte de la migration, les Églises doivent mettre en œuvre de nouveaux processus de dialogue et réfléchir de manière critique au dialogue déjà en cours.
Depuis 2004, l’Église réformée du canton de Zurich emploie une personne responsable du dialogue interreligieux. Avec son travail, elle contribue au développement et à l’entretien des relations constructives avec les communautés religieuses non chrétiennes et, en tant qu’organe intermédiaire, s’engage pour une coexistence et une coopération fructueuse entre les communautés religieuses présentes dans le canton. Dans le cadre de cette mission, elle collabore étroitement avec les acteurs des plateformes interreligieuses. Dans le canton de Zurich, il existe actuellement trois plateformes pour le dialogue interreligieux, qui découlent toutes d’initiatives de pasteurs réformés:
Zürcher Institut für interreligiösen Dialog (ZIID)
Le Zürcher Institut für interreligiösen Dialog (Institut zurichois pour le dialogue interreligieux) (appelé Zürcher Lehrhaus de 1994 à 2015) découle d’une initiative du pasteur Martin Cunz. Le ZIID est un institut de formation qui se consacre au dialogue interreligieux entre judaïsme, christianisme et islam. Les priorités du ZIID incluent la transmission du savoir, le travail d’information, la formation, la sensibilisation, le conseil, la mise en réseau ainsi que la publication d’articles scientifiques.
https://www.ziid.ch/
Zürcher Forum der Religionen
Le Zürcher Forum der Religionen (Forum zurichois des religions) a été fondé en 1997 à l’initiative du pasteur Peter Wittwer. Il se veut un regroupement de communautés religieuses et agences publiques du canton de Zurich et sert de lien entre les cinq grandes religions mondiales: l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam. Le Zürcher Forum der Religionen s’engage aussi bien en faveur du dialogue interreligieux que de l’échange entre les institutions religieuses et politiques.
http://www.forum-der-religionen.ch/
Interreligiöser Runder Tisch du canton de Zurich
L’Interreligiöse Runde Tisch (Table ronde interreligieuse) a été fondée en 2004 à l’initiative du pasteur Ruedi Reich, qui était à l’époque président du Conseil synodal. Dans le cadre de la table ronde, les responsables des communautés religieuses présentes dans le canton de Zurich se rencontrent régulièrement pour échanger des idées et des réflexions. On y discute de problèmes et projets actuels et y émet parfois des avis publics. L’Interreligiöse Runde Tisch réalise également un travail de médiation entre les communautés religieuses et les autorités à différents niveaux.
http://www.rundertisch.ch/
Le point commun de ces trois organisations est qu’elles agissent contre le repli des communautés religieuses sur elles-mêmes, s’engagent en faveur de la liberté religieuse et de la paix religieuse et servent la cohésion sociale. En outre, elles s’opposent à toute forme de discrimination, en particulier à la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse.
Contrairement aux initiatives de paix religieuses «unilatérales», le dialogue interreligieux favorise la rencontre directe et l’échange avec les autres. Il contribue à créer un climat de confiance entre des membres de différentes communautés religieuses, à démonter les préjugés ainsi qu’à développer une meilleure compréhension réciproque et un respect mutuel. Dans ce contexte, le dialogue désigne d’une part un processus d’individuation: ce n’est qu’en rencontrant l’autre qu’un individu découvre ce qui le rend unique et particulier. Martin Buber a exprimé cette conception dans les termes suivants: «L’Homme devient Je par le Tu». Le dialogue est cependant aussi un processus d’apprentissage sur soi-même, un processus intérieur de découverte de soilors duquel on réfléchit de manière critique aux points de vuesubjectifs et lors duquel on les remet en question. Rencontrer l’autre offre la possibilité de voir le monde sous un autre angle, d’élargir son horizon et de se développer personnellement grâce à cette expérience.
Le dialogue interreligieux favorise également la solidarité entre les membres des différentes communautés religieuses et est source de compréhension et de confiance au sein de la population. Les responsables des trois plateformes pour le dialogue interreligieux du canton de Zurich plaident contre les préjugés sociaux et la discrimination qui en résulte lors de prises de positions publiques et contribuent à objectiver les débats chargés politiquement et émotionnellement grâce à des articles de fond et d’opinion, dépliants et guides.
À cet égard, le dialogue interreligieux (et interculturel) est également un outil de prévention de la discrimination et de la radicalisation. Le «Rapport sur les mesures prises par la Confédération pour lutter contre l’antisémitisme en Suisse» du Service de lutte contre le racisme (2017: 18) ainsi que le «Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent» (2017: 17) attirent l’attention sur le dialogue interreligieux comme instrument de prévention. En Allemagne, le contrat de coalition de 2005 contenait déjà un passage érigeant le dialogue en notion-clé de la politique de prévention: «Un dialogue interreligieux et interculturel n’est pas seulement un élément important de la politique d’intégration et de la formation politique, il sert aussi la prévention du racisme, de l’antisémitisme et de l’extrémisme ainsi que la lutte contre ces phénomènes.» Les documents cités montrent que la politique d’intégration passe de plus en plus par le dialogue interreligieux. Ce lien étroit entre intégration et dialogue peut cependant aussi être remis en question. À cet égard, le spécialiste des sciences politiques et sociales Levent Tezcan (2006; cf. Schmid 2010: 520-521) rappelle que l’institutionnalisation croissante de la structure de dialogue et son orientation claire pour la politique d’intégration présentent un risque de contrôle politique du dialogue interreligieux et un risque «d’échec de ce que qui est essentiel dans le dialogue: l’ouverture à l’autre» (Tezcan 2006: 32). Et c’est justement cela que les projets de dialogue doivent accomplir s’ils veulent vraiment contribuer à mettre fin aux préjugés, à la xénophobie et au racisme: il faut s’ouvrir à l’autre, aller vers lui et le rencontrer.
ℹ Marc Bundi est responsable du département «Relations et dialogue interreligieux» de l’Église réformée du canton de Zurich.
Références bibliographiques
Buber Martin, Je et Tu. Berlin, 1922.
CDU Deutschlands/CSU Landesleitung /SPD Deutschlands(Hrsg.), Gemeinsam für Deutschland. Mit Mut und Menschlichkeit. Koalitionsvertrag von CDU, CSU und SPD. Rheinbach, 2005.
Réseau national de sécurité / Le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent, 4 décembre 2017.
Schmid Hansjörg,Integration durch interreligiösen Dialog? Versuch einer Verhältnisbestimmung, Dans: Die Rolle der Religion in der Integrationspolitik. Die deutsche Islamdebatte, 2010.
Service de lutte contre le racisme (SLR)du Département fédéral de l’intérieur, Rapport sur les mesures prises par la Confédération pour lutter contre l’antisémitisme en Suisse 10 octobre 2017.
Tezcan Levent, Interreligiöser Dialog und politische Religionen. Dans: Aus Politik und Zeitgeschichte, 28/29, 2006.
Commentaire 2017: Le racisme en Suisse
Discours haineux et discrimination
Le racisme, la xénophobie et la discrimination sont des phénomènes impossibles à mesurer au moyen de chiffres exacts. On peut cependant observer des tendances au fil des années. C’est particulièrement vrai pour le racisme sur Internet, un phénomène également connu sous l’appellation «discours haineux», ou «hate speech» en anglais, et qui a connu une forte augmentation ces 15 dernières années. Il semble que les utilisateurs se sentent parfois complètement libérés des conventions sociales et règles de bienséance, et jurent et injurient gaiement, le plus souvent en utilisant leur vrai nom ou profil sur les réseaux sociaux. En raison du supposé anonymat sur Internet, on a beaucoup moins de scrupules à dire certaines choses. Beaucoup oublient encore souvent qu’Internet n’est pas une zone de non-droit.
En raison de cette évolution, la question de la manière de traiter les commentaires haineux sur les articles en ligne se pose de plus en plus souvent aux entreprises de médias. La GRA a interrogé différentes rédactions et a abouti au constat suivant: «20 minutes» et la «Südostschweiz» misent sur la relecture des commentaires. Les commentaires publiés sur «suedostschweiz.ch» entrent dans une file d’attente et ne sont activés qu’après une vérification. En outre, la «Südostschweiz» tient à ce que les auteurs ne se cachent pas derrière des pseudonymes. Chez «20 minutes», les commentaires sont également vérifiés, surtout pour les sujets sensibles. Toutefois, le problème de cette méthode est que l’évaluation des commentaires dépend fortement du relecteur ou de la relectrice. Et il faut également mettre en doute le fait qu’il soit réellement possible de relire tous les commentaires.
Le «Aargauer Zeitung» a mis au point une stratégie différente pour gérer le courrier des lecteurs. La rédaction essaie de «sauver» les contributions au contenu intéressant mais qui contiennent sporadiquement des termes sensibles en supprimant ou remplaçant lesdits termes.
Le «Neue Zürcher Zeitung» a opté pour la procédure suivante: depuis février 2017, la section «commentaires» n’existe plus pour la plupart des articles. Chaque jour, il n’est possible de débattre que sur trois textes, et la discussion est modérée et animée par le NZZ. Il mise ainsi sur le débat plutôt que les insultes.
Ce bref sondage indique que les journaux ont reconnu le problème des discours de haine et essaient aussi d’y pallier. La question est toutefois délicate et certaines manières de procéder comportent le risque que la suppression à la légère soit vue comme une atteinte (trop) grave à la liberté d’expression. D’un autre côté, il faut empêcher la publication des messages racistes ou discriminatoires. Tous les journaux interrogés par la GRA essaient de lutter contre les commentaires haineux et considèrent le problème comme une question importante.
Le service de lutte contre le racisme de la Fédération (SLR), qui a publié en 2017 son rapport biennal sur la discrimination raciale en Suisse, souligne également dans sa préface écrite par le conseiller fédéral Alain Berset que les discriminations sont souvent dissimulées et difficiles à percevoir dans la vie quotidienne, mais qu’elles se manifestent de plus en plus de manière ouverte et agressive sur Internet et sur les réseaux sociaux. «Notre société a le devoir de répondre à toutes les discriminations en y opposant un discours ferme et résolu voire, lorsque des lois sont violées, en recourant à des moyens légaux.», explique Alain Berset. Les auteurs du rapport arrivent ensuite à la conclusion que «les opinions hostiles envers les étrangers et les minorités ne semblent pas avoir évolué de façon significative, en dépit de la politisation de l’immigration».
Chronologie de la GRA pour 2017
En 2017, la chronologie des cas de racisme publiée par la GRA en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) a répertorié un total de 39 actes racistes repris par les médias dans toute la Suisse. Cette surveillance des médias reflète l’ambiance générale en Suisse et révèle des chiffres semblables à ceux des années précédentes, mais n’a toutefois pas la prétention d’être exhaustive sur le plan statistique. Parmi les 39 cas ne figurent pas les innombrables incidents non traités par les médias mais signalés presque quotidiennement à la GRA. Il s’agit principalement de discours haineux, c’est-à-dire d’incidents racistes sur Internet, dont, par exemple, des commentaires de lecteurs racistes (à l’encontre des étrangers, des Noirs, des musulmans, des Juifs) sur les sites de journaux en ligne ou profils de particuliers et personnalités politiques d’extrême droite sur les réseaux sociaux. En outre, on nous a aussi signalé sporadiquement des blogs aux contenus néonazis ou des affiches de promotion d’un événement (par exemple avec le visage d’un homme noir pour le Carnaval). Mais la GRA a également reçu des signalements de tags dans la rue, tels que «Nigger go home» à Zurich, ou de tracts racistes et antisémites distribués dans les boîtes aux lettres.
En ce qui concerne les «hate speech», la GRA aide les utilisateurs à signaler ou à documenter les messages haineux. Par ailleurs, il faudrait réagir aux discours haineux en utilisant les fonctionnalités de signalement des différents réseaux sociaux ou en présentant les bons arguments («Counter Speech»). Si un commentaire haineux enfreint la norme pénale contre la discrimination raciale, les utilisateurs devraient immédiatement réaliser une capture d’écran et la transmettre au ministère public cantonal. Il est aussi possible de signaler les blogs et sites aux contenus racistes au Service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI) de Berne.
Il s’agit d’une question très sensible pour les utilisateurs suisses, comme le montrent les nombreux messages que la GRA reçoit presque quotidiennement. C’est pourquoi la fondation s’est également davantage penchée sur toutes les formes de discrimination en ligne en 2017 et a publié, entre autres, un guide sur les discours haineux, qui a été envoyé à plus de 2000 écoles dans toute la Suisse. Le guide présente la manière d’identifier les discours de haine et les organismes auprès desquels il est possible de signaler les contenus diffamatoires et racistes. Il donne également des conseils sur la manière de protéger sa vie privée lors de discussions délicates sur Internet. Le guide est téléchargeable à cette adresse: https://gra.ch/fr/education/discours-haineux/. La newsletter de décembre de la GRA a aussi abordé ce sujet: https://chronologie.gra.ch/GRA_Newsletter_Dezember_2017.html
En outre, la GRA a récemment organisé une séance d’information réunissant des experts sur la question du discours haineux. À cette occasion, Maya Hertig Randall, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Genève, a souligné à quel point une législation et des sanctions contre les discours haineux sur Internet sont importantes. En effet, il en va de la protection de minorités vulnérables face à la discrimination, le dénigrement et l’exclusion. Pour les personnes touchées, les discours de haine sont souvent comme un coup de poing dans la figure.
En Allemagne, une nouvelle loi est entrée en vigueur le 1er janvier. Celle-ci a pour but de poursuivre et sanctionner plus sévèrement les discours haineux sur Internet. Concrètement, elle oblige les réseaux sociaux à supprimer les messages haineux plus sérieusement et rapidement. Ses détracteurs critiquent toutefois le fait que cette loi sur l’amélioration de l’application du droit («Netzwerkdurchsetzungsgesetz») sur les réseaux sociaux, aussi appelée «loi Facebook», limite considérablement la liberté d’expression.
En Suisse, le Conseil fédéral a publié un avis sur les «Discours de haine sur les réseaux» en 2017 et s’est exprimé ainsi:
«La question de la mesure dans laquelle les règles régissant le monde analogique peuvent s’appliquer – et être effectivement imposées – dans le monde numérique se pose. Le Conseil fédéral s’est déjà exprimé à plusieurs reprises sur cette thématique ces derniers mois dans le cadre d’interventions parlementaires (…).» Et de poursuivre: «Les difficultés d’application des normes existantes aux réseaux sociaux résident avant tout dans la nature transfrontière de ces services, en raison du principe de territorialité qui fait obstacle à l’application du droit suisse en l’absence de rattachement en Suisse. À cela s’ajoute le fait que l’effacement ou le blocage d’un message diffusé sur un réseau social sur simple annonce d’un utilisateur indépendamment de toute décision administrative ou judiciaire pose de délicates questions de compatibilité avec les droits fondamentaux, notamment avec la liberté d’expression.»
Le spécialiste allemand de l’extrémisme de droite, l’antisémitisme et les théories du complot sur Internet Johannes Baldauf estime que la loi sur l’amélioration de l’application du droit («Netzwerkdurchsetzungsgesetz ») sur les réseaux sociaux n’a que peu de sens, parce que les discours haineux constituent toujours une «hostilité à l’égard d’un groupe spécifique» et un problème profondément social, duquel le droit pénal ne peut pas venir à bout seul.
La GRA va continuer à se consacrer intensivement à la question des discours de haine dans le monde numérique via des rapports ciblés et des événements spécialisés. Un examen approfondi systématique d’Internet est cependant compliqué et ne serait que peu révélateur sur le plan statistique. En effet, le principe suivant s’applique à cet égard: plus on cherche plus on trouve.
Des incidents racistes non mentionnés dans les médias sont également publiés chaque année par le «Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme» (coordonné par l’association humanrights.ch et la Commission fédérale contre le racisme – CFR) dans le cadre d’un rapport sur les actes racistes traités dans le cadre de consultations. Dans ces rapports, les histoires de cas saisies dans une base de données commune de manière anonyme par des centres de conseil affiliés, sont évaluées. Par ailleurs, la CFR publie également au début de l’été, un rapport annuel relatant les décisions et les jugements rendus sur le plan national et international en matière de discrimination raciale dans différents domaines de l’existence.
Antisémitisme
La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), qui recense les actes antisémites, a répertorié 39 incidents considérés comme antisémites en 2017. Internet est cependant analysé séparément. Ce chiffre concerne donc uniquement les incidents «hors ligne» signalés à la FSCI ou couverts par les médias. En 2017, les incidents les plus graves ont été trois agressions contre des Juifs et l’affichage de trois affiches nazies sur les autoroutes suisses. Le rapport complet de la FSCI sur l’antisémitisme est disponible à l’adresse www.antisemitisme.ch.
Islamophobie
En 2017, un organisme responsable de différentes associations et communautés musulmanes suisses a, pour la première fois, commandé une étude sur les discriminations rencontrées par les musulmans en Suisse.
L’étude, menée par l’institut de sondage gfs.bern, arrive à la conclusion que les musulmans de Suisse considèrent, dans leur grande majorité, le racisme et l’islamophobie comme un problème et se sentent largement discriminés.
Ainsi, une majorité (de musulmans, N. D. A.) se comporte «volontairement de manière prudente, pour ne pas apparaître comme musulman» au quotidien. Qui plus est: «Une majorité nette ressent une distance entre les chrétiens et les musulmans. Malgré le manque de reconnaissance et la discrimination ressentie en tant que groupe, 78 pour cent affirment que les musulmans de Suisse sont intégrés en tant qu’individus. Et 69 pour cent déclarent être satisfaits de leur vie en Suisse. Un tiers des personnes interrogées caressent toutefois l’idée de quitter un jour la Suisse.»
L’étude souligne également que l’un des problèmes principaux réside dans «l’attitude du public envers la communauté musulmane». Ainsi, 81 pour cent des personnes interrogées considèrent que le racisme est un problème grave, voire très grave, en Suisse. Par ailleurs, 74 pour cent estiment que les entreprises suisses ne s’engagent pas suffisamment dans la lutte contre le racisme (10 % considèrent leur engagement comme suffisant et 1% comme trop prononcé) et 83 pour cent sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation selon laquelle les musulmans sont discriminés en Suisse.
L’institut gfs.bern souligne cependant que les Turcs, les musulmans suisses-allemands et les conservateurs sont surreprésentés dans l’étude. C’est pourquoi l’étude devrait «être réalisée à nouveau, cette fois à une plus grande échelle, afin de respecter complètement les critères de représentativité.» Et de poursuivre: «Pour cela, il faut interroger davantage de personnes originaires d’Albanie et de Bosnie, ainsi que de personnes d’origine asiatique ou africaine» expliquent les auteurs.
Il existe également d’autres chiffres. Ainsi, le nombre de condamnations pour discrimination raciale envers les musulmans est passé de huit a six l’année dernière. Par ailleurs, moins de musulmans ont signalé des cas de discrimination auprès de centres de consultation. L’institut de recherche Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft arrive aussi à la conclusion que la généralisation à propos des musulmans dans les articles de presse diminue depuis 2009.
Le rapport du SLR de la Fédération sur la discrimination raciale en Suisse, mentionné plus haut, qui a été analysé par l’Office fédéral de la statistique (OFS), a toutefois également révélé que l’islamophobie est répandue en Suisse. Ainsi, les responsables de l’étude écrivent: «Parmi les trois groupes étudiés dans l’enquête, c’est autour des musulmans que se cristallisent les plus fortes tensions sociales. Lorsque des caractéristiques négatives sont présentées, 17 % estiment que celles-ci s’appliquent aux musulmans; ce taux chute à 12 % chez les Juifs et 4 % chez les Noirs. Les taux d’hostilité sont à 14 % vis-à-vis des musulmans, 10 % pour les Noirs et 8 % pour les Juifs. Dans le cas des musulmans, l’hostilité envers ce groupe est toutefois moins forte que la défiance envers l’islam qui s’élève en 2016 à 33 %.»
Dans l’ensemble, l’évaluation de l’OFS montre que «la population évalue plutôt favorablement le fonctionnement de l’intégration des migrantes en Suisse. Le racisme est considéré comme problème social sérieux et 34 % des personnes interrogées sont d’avis que les mesures de lutte contre celui-ci sont insuffisantes. Selon elles, c’est avant tout la responsabilité de l’État, mais aussi de chaque individu et des pouvoirs politiques.
Au total, 36 % de la population a indiqué pouvoir être dérangée par la présence de personnes perçues comme différentes. Six pour cent de la population s’est déclarée dérangée au quotidien par une personne ayant une couleur de peau ou une nationalité différente. Environ 10 % est dérangée par une religion ou une langue différente. 21 % se dit même gênée par la présence de personnes ayant un mode de vie non sédentaire.
Racisme contre les personnes noires
Un groupe de chercheurs dirigé par le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) s’est penché sur les dimensions individuelle, institutionnelle et structurelle du racisme anti-Noirs en Suisse pour le compte du service de lutte contre le racisme (SLR).
Il a étudié 115 actes pour lesquels la justice a été saisie et 201 conflits traités dans le cadre de consultations. Selon les auteurs, les mots «nègre», «demi-nègre», «bamboula» ou «pépito» seraient très souvent utilisés. Les personnes concernées sont aussi souvent comparées à des animaux (p. ex. «macaque») ou sexualisées (p. ex. «pute nègre»). «Il n’est pas rare que ces mots soient accompagnés de violences physiques graves», poursuivent les auteurs.
La population noire n’invoque que rarement la norme pénale contre la discrimination raciale de l’art. 261bis CP. Ainsi, il est étonnant de constater que, selon l’étude, seules 57 condamnations liées au racisme anti-Noirs ont été prononcées. «Pour la majorité des personnes noires, la voie judiciaire n’est pas un moyen adapté de se défendre contre le racisme», explique l’étude à ce sujet. Selon elle, les obstacles sont généralement élevés et les chances de réussite incertaines. «Une raison importante pour laquelle la voie judiciaire ne convainc pas est la peur d’être confronté publiquement à des représailles racistes», ajoutent les auteurs. Dans le cadre de l’étude, ils se sont également entretenus avec 42 services d’intégration. «Selon 32 d’entre eux, les personnes noires sont régulièrement confrontées à de la discrimination raciale en Suisse», écrivent-ils. «Les domaines les plus cités par les services d’intégration sont le logement et la police.» Toujours selon l’étude, les discriminations sont «plutôt fréquentes» sur le lieu de travail, dans les transports en commun et dans l’espace public Elles se manifestent généralement par des insultes, mais aussi des actes de violence physique ou un manque de protection.
Extrémisme de droite
Depuis que plus de 5000 néonazis venus de toute l’Europe ont pu se rencontrer à l’occasion d’un concert à l’automne 2016 à Unterwasser dans le canton de Saint-Gall, les autorités et la police, ainsi que la population, ont été sensibilisés à cette question. Pourtant, un nouveau concert a eu lieu début 2017 dans le canton de Lucerne, où quelque 150 skinheads se sont retrouvés. Néanmoins, le concert a été étroitement surveillé par la police de Lucerne et les passages sur scène annoncés du groupe néonazi italien Bronson et du rappeur néonazi allemand déjà condamné Makss Damage ont été interdits. Plusieurs événements de moindre envergure dans le cadre desquels des musiciens d’extrême droite se sont produits ont attiré l’attention des médias dans les semaines suivantes, principalement parce que les organisateurs ont toujours réussi à maintenir les événements malgré des interdictions d’entrée et la présence de la police.
Le président de la Fondation GRA, Pascal Pernet, s’est exprimé dans une tribune dans le journal NZZ à propos de l’application de la norme pénale contre la discrimination raciale en relation avec les concerts de néonazis. https://zeitungsarchiv.nzz.ch/neue-zuercher-zeitung-vom-21-02-2017-seite-9.html?hint=1812537.
En Suisse, la scène d’extrême droite est stable depuis plusieurs années, le taux de renouvellement est cependant élevé, parce que se sont surtout des jeunes hommes qui sont actifs dans ce milieu. En outre, des informations selon lesquelles certains membres de l’aile droite de l’UDC ont un pied sur la scène d’extrême droite ou y ont été actifs dans le passé ont maintes fois été publiées ces derniers mois, c’est-à-dire que les extrémistes de droite essaient régulièrement d’entrer dans le parti. Bien que l’UDC ait parfois réagi, elle n’a jusqu’ici pas encore développé suffisamment de mesures préventives afin d’empêcher ce processus de manière proactive.
En outre, des tracts d’extrême droite dénigrant les étrangers les Juifs ou les musulmans sont apparus à divers endroits en Suisse.
Dans son rapport de 2017, le Service de renseignement de la Confédération écrit à propos de l’extrémisme de droite et de gauche:
«Depuis des années, la situation dans les milieux de l’extrémisme violent montre une tendance à la détente. Les événements liés à l’extrémisme de droite sont rares, ceux liés à l’extrémisme de gauche restent élevés. Les quelques événements isolés, qui retiennent souvent l’attention des médias, ne changent rien à cet état de fait mais sont autant de signes indiquant que le potentiel de violence reste bien réel et que la situation pourrait s’envenimer rapidement. L’augmentation des flux migratoires à destination de la Suisse, des attaques terroristes commises dans notre pays pour des motifs djihadistes ou une évolution dramatique dans les régions kurdes, en particulier en Turquie et en Syrie, seraient à même de susciter des protestations, attentats ou attaques violents parmi les milieux extrémistes. Dans le domaine de l’extrémisme de droite, il s’agit d’empêcher que la Suisse gagne en attrait comme lieu d’organisation de concerts et autres manifestations.» Et de poursuivre: «D’autres événements et rencontres (d’extrémistes de droite, N. D. A.) se passent d’intermède musical. Les extrémistes de droite ne cherchent pas à apparaître en public. Les manifestations, défilés et provocations restent rares, mais répondent souvent à un schéma traditionnel.»
Antitziganisme
Comme l’organisation Radgenossenschaft der Landstrasse l’a écrit dans un rapport en 2017, les Yéniches et Sintis «constatent une augmentation du racisme en Suisse». L’appellation générique «gens du voyage» dérange particulièrement l’organisation faîtière «Dans les trois minorités ethniques (les Yéniches, les Sintis et les Roms), certaines personnes exercent leur activité dans des caravanes, d’autres sont sédentaires», explique-t-elle. «Et, dans chaque ethnie, il y a des gens fréquentables et d’autres peu fréquentables, comme partout.
En rendant les “gens du voyage” responsables indistinctement d’infractions de toutes sortes, on met les membres de toutes les minorités dans le même panier et les monte les uns contre les autres», poursuit la Radgenossenschaft.
«Les minorités ressentent l’augmentation du racisme dès le colportage. Il est de plus en plus difficile en raison de l’accentuation de la méfiance.
La création d’aires de passage et de stationnement se heurte également souvent à un refus des communes.» Si des agriculteurs sont tout de même disposés à mettre des terres à disposition des commerçants nomades, «les autorités communales essaient de leur interdire de le faire en utilisant des arguments fallacieux».
Il existe en effet toujours beaucoup trop peu d’aires de passage et de stationnement pour les Yéniches, les Sintis et les Roms en Suisse. Les autorités ont des difficultés à mettre en œuvre les dispositions nécessaires à créer suffisamment d’aires et les communes, ainsi que la population, s’opposent souvent à la mise à disposition d’aires de passage ou de stationnement. Wileroltigen constitue un exemple de l’année dernière: pour la commune du canton de Berne, l’été 2017 a été tout sauf normal. En juin, quelques centaines de Roms ont occupé un terrain à côté de l’A1 et y sont restés jusqu’à la première quinzaine d’août. Le canton de Berne a ensuite voulu légaliser la situation illégale et transformer le terrain en aire de transit permanente pour «gens du voyage» étrangers. La population s’est révoltée. Cette commune est un exemple de ce qui se produit dans de nombreuses communes suisses. En effet, la Suisse manque d’aires de tous types. Il faut des aires pour accueillir 80 à 100 caravanes, c’est-à-dire des grands groupes. Il n’y en a actuellement encore aucune dans le pays. Il n’y a pas assez d’aires de passage pour accueillir des groupes de familles de 8 à 12 caravanes. Le nombre d’aires de ce type a chuté, comme l’explique le journal de la Radgenossenschaft der Landstrasse, «Scharotl», dans sa dernière édition. Il n’y a pas non plus suffisamment de lieux pour l’hiver, les aires de stationnement de Buech (Berne) et d’Eichrain (Zurich) sont surpeuplées.
La société pour les minorités en Suisse, GMS, contribue à renforcer la position des Yéniches et des Sintis en Suisse. Elle accorde une attention particulière au respect des droits fondamentaux des minorités nationales, dont les Yéniches et Sintis font partie, et propose son soutien aux communes en tant qu’interlocutrice ou intermédiaire. Avec sa brochure «Gens du voyage sur des terrains privés» et le modèle de contrat de location joint, la GMS contribue activement au renforcement du droit des minorités nomades à l’«arrêt spontané», tradition protégée par la loi.
L’arrêt spontané est le séjour limité dans le temps d’un groupe de Yéniches, Sintis ou Roms sur un terrain privé, dans des caravanes et à des fins commerciales. Les Yéniches et Sintis, en tant que minorités nationales reconnues, ont droit à la protection de leur mode de vie, y compris en Suisse
Mot de conclusion
Comme expliqué plus haut, Internet et ses diverses plateformes sont, depuis de nombreuses années déjà, le premier lieu de diffusion du racisme et de l’antisémitisme verbaux.
L’accès facile à des contenus et publications discriminatoires sur Internet, la vitesse effrénée à laquelle les textes circulent ainsi que l’abondance de textes font de la communication en ligne un lieu d’échange important de propos haineux de toutes sortes.
Les discours de haine sur Internet constituent toujours un coup de poing dans la figure des personnes concernées. Ils sont dangereux: les discours haineux diffamatoires blessent et excluent. Dans les cas les plus graves, ils peuvent entraîner des actes de violence physique. Les lois seules ne résolvent pas le problème à la racine. À cet égard, il faut un engagement de la société civile, que ce soit sous la forme d’organisations, qui jouent un rôle de chien de garde, ou d’organes de réclamations, vers lesquels on peut se tourner en cas de doute ou en cas de discours haineux évident. Par ailleurs, chacun, en tant que personne concernée potentielle, doit être conscient de sa responsabilité dans l’espace numérique.
Dans ce contexte, la chronologie de la GRA continuera d’assumer son rôle principal, celui de chien de garde, ainsi que d’évaluer de manière critique et de répertorier de façon systématique, et selon des critères et catégories éprouvées, les actes racistes, xénophobes et discriminatoires en Suisse, afin que les incidents discriminatoires qui s’y produisent actuellement soient rendus visibles, et soient consignés et archivés pour les générations futures.
Rapport d’approfondissement 2017: Discours haineux dans les médias sociaux – aspects d’un nouveau phénomène
par Patrik Ettinger*
Les changements dans la communication publique dus à l’apparition des médias sociaux semblent également avoir entraîné une multiplication des discours haineux, «hate speech» en anglais. C’est en tout cas un sentiment largement répandu. À titre d’exemple, le rapport du Conseil fédéral sur le cadre juridique pour les médias sociaux, publié en mai 2017, décrit cette évolution comme suit: «Ces dernières années, le problème des propos haineux, incendiaires, racistes et discriminatoires tenus sur les réseaux sociaux s’est considérablement aggravé» (Conseil fédéral, p. 38).
Pour pouvoir mieux comprendre le phénomène des discours haineux dans les médias sociaux et évaluer son ampleur, cette analyse commence par expliquer comment définir le phénomène du discours haineux du point de vue des sciences sociales. Nous nous pencherons ensuite sur la question centrale: en quoi l’apparition des médias sociaux à-t-elle modifié la communication publique et comment les nouvelles formes de communication apparues avec les médias sociaux influencent-elles la diffusion des discours haineux? Cette base permet d’évaluer les changements empiriquement observables et d’ébaucher des stratégies face aux discours haineux sur les médias sociaux.
Discours haineux: délimitation du phénomène
Le discours haineux («hate speech») est une notion controversée, qui n’est souvent pas définie précisément (Marx, p. 42). Cela s’explique, entre autres, par le fait que le discours haineux en tant que concept est lui-même l’objet de débats politiques. Qu’est ce qui relève du discours haineux et qu’est-ce qui relève encore de l’opinion pertinente dans le cadre d’un conflit, d’une critique légitime ou d’une protestation? Et, d’autre part: qu’est-ce qui constitue une lutte légitime contre les discours haineux et qu’est ce qui est considéré comme de la censure? Ces questions sur la délimitation sont dangereuses, parce que les personnes utilisant le discours haineux essaient souvent de déplacer les limites voire de les nier. Mais la question de la délimitation se pose aussi du point de vue de l’État de droit démocratique, dans lequel des restrictions du droit fondamental qu’est la liberté d’expression doivent être légitimées par la protection d’autres droits fondamentaux, dans le cadre d’un processus de pesée des intérêts. On peut constater que différentes réponses sont possibles en comparant les traditions juridiques des sociétés démocratiques.
La notion de «discours haineux» n’est toutefois pas uniquement controversée politiquement. L’étude scientifique du phénomène évite souvent le terme «discours haineux» en raison, entre autres, de ses implications politiques, en particulier en dehors des pays anglo-saxons. Elle travaille avec d’autres concepts, tels que l’hostilité à l’égard d’un groupe particulier (Heitmeyer). Et, quand le discours haineux est utilisé comme concept, les approches diffèrent en fonction des traditions scientifiques. Il est cependant possible de déterminer des indicateurs clés du discours haineux, qui doivent être précisés du point de vue de la sociologie et des sciences de la communication pour cette analyse.
- Le discours haineux est un discours public. Cette précision se réfère au fait que nous attribuons une importance sociale à la communication publique, contrairement à celle privée, et lui imposons donc des exigences normatives différentes.
- Le discours haineux se réfère à des groupes ou à des individus en tant que membres de ces groupes, auxquels on attribue des caractéristiques spécifiques sur la base de l’appartenance ethnique, de la religion, du genre ou de l’orientation sexuelle. En d’autres termes, le discours haineux généralise. Il a recours aux moyens linguistiques que sont la généralisation et l’essentialisation, c’est-à-dire qu’il considère ces caractéristiques comme intrinsèques au groupe et à tous ces membres.
- Le discours haineux est péjoratif et discriminatoire. Fondamentalement, on refuse de reconnaître les victimes de discours haineux comme des membres de la société égaux. Elles sont rabaissées, décrites comme inférieures ou diabolisées. À cet égard, une distinction est opérée entre un «nous» connoté positivement et les «autres» exclus. Cet aspect distingue le discours haineux du conflit politique légitime, qui suppose la reconnaissance de l’opposant.
- Le discours haineux justifie et légitime des actes, ce qui peut entraîner de la violence physique envers les victimes de discours haineux, mais également des formes d’exclusion moins perceptibles, par exemple lorsque les victimes de discours haineux se taisent par peur et désespoir et ne peuvent donc plus participer à la vie publique.
Outre ces quatre aspects largement consensuels du discours haineux, il en existe deux autres qui sont controversés. Ils concernent l’intention de l’orateur d’exprimer la haine qu’il ressent (intentionnalité), et l’effet sur les victimes du discours haineux (Sirsch, p. 168f.).
L’intentionnalité du discours haineux est surtout avancée pour lever les supposées ambiguïtés des points 3 et 4. Ainsi, selon cet aspect, il ne s’agit pas d’un discours haineux lorsque, par exemple, des Noirs se qualifient mutuellement de «nigger» dans le cadre d’une réinterprétation positive d’un terme stigmatisant. L’argument des opposants à la prise en compte des intentions de l’orateur est qu’elles sont souvent impossibles à déterminer de manière incontestable. Il s’agit selon moi d’un problème méthodique et non conceptuel. L’intention de l’orateur doit être déduite à partir des actes de langage et de leur contexte, alors que les points mentionnés plus haut sont suffisants d’un point de vue conceptuel.
L’argument des opposants aux concepts qui se focalisent sur l’effet sur la victime du discours haineux est «que tout discours pourrait alors être qualifié de discours haineux si l’on trouvait une personne qui le considère comme offensant» (Sirsch, p. 168). Cet argument doit être entériné dans la mesure où la perception des victimes doit être soumise à une intersubjectivation, c’est-à-dire qu’il ne peut pas s’agir du seul critère. Une intersubjectivation est cependant possible sur la base des quatre critères mentionnés. J’estime par ailleurs qu’il faut relativiser cet argument. Les expériences historiques d’exclusion et de discrimination sensibilisent bien plus les membres de minorités que tout acteur non concerné. Il faut en tenir compte pour la contextualisation dans le cadre de l’analyse de discours haineux.
En quoi l’apparition des médias sociaux modifie-t-elle la communication publique?
Avec la numérisation des médias et l’apparition des médias sociaux, l’espace public des États démocratiques modernes a fondamentalement changé. Le changement le plus important est le déplacement des frontières entre communication publique et privée. Avant la numérisation et l’apparition des médias sociaux, la communication publique s’exerçait principalement par l’intermédiaire des médias de masse traditionnels. Les journalistes, en tant que «gardiens», décidaient de ce qui devait être l’objet de la communication publique. Cette décision prenait en compte les considérations économiques de la maximisation de l’attention, mais respectait des normes sociales et éthiques.
Cette sphère de la communication publique était clairement séparée de la sphère de la communication privée. Dans cette dernière, le respect des normes sociales était beaucoup moins strict. On pouvait aussi y dire ce que l’on ne voulait pas ou n’osait pas exprimer publiquement.
Avec la numérisation, cette séparation entre communication publique et privée s’estompe. Nous constatons désormais, comme l’a très justement formulé le chercheur en communication Hans-Bernd Brosius, que «tous les contenus de communication, qui existaient déjà à «l’ère hors ligne», ont quitté le cadre de la communication interpersonnelle privée en raison de l’observation en ligne. Nous voyons les «discussions de comptoir», nous voyons les propos haineux, nous voyons les gens jouer, acheter, discuter, etc. Beaucoup des formes de communication ne sont pas nouvelles, mais sont désormais visibles en ligne. Elles sont non seulement consultables de façon synchronique, mais aussi de façon diachronique, grâce à la capacité de stockage, la mémoire infinie d’Internet» (Brosius, p. 365). Ce qui était autrefois privé fait désormais partie de la communication publique.
La numérisation n’entraîne cependant pas seulement un déplacement des frontières entre communication publique et privée, mais aussi un changement des rôles. Alors que la communication dans les médias de masse traditionnels est une communication one to many, la communication numérique permet une communication many to many. Chacun peut désormais potentiellement envoyer des messages qui peuvent toucher un large public. Cette situation offre aux individus et organisations de nouvelles possibilités pour des campagnes de communication et mobilisations, y compris pour celles qui s’attaquent aux minorités en utilisant des discours haineux.
Ces organisations profitent donc des évolutions technologiques de la numérisation, qui rendent la communication quantifiable et influençable comme jamais auparavant. L’économie de l’attention, c’est-à-dire l’obtention et la distribution de l’attention, peut désormais être mesurée en temps réel en nombre de clics, de mentions «J’aime» ou en durée de consultation et être optimisée en conséquence. Les acteurs qui dépendent de l’attention en tirent profit. Ils disposent désormais d’une multitude de possibilités d’optimisation de l’attention, y compris l’utilisation de social bots, qui est cependant très peu répandue en Suisse. (Rauchfleisch/Vogler). Les géants de la technologie, tels que Google, Facebook ou Twitter, en profitent également. Ils peuvent transformer l’attention en bénéfice économique. Et, étant donné que ce sont surtout les messages qui suscitent l’émotion qui accaparent l’attention, la communication sur les réseaux s’émotionnalise davantage.
La possibilité de mesurer et diriger l’attention des utilisateurs de manière ciblée incite également les fournisseurs de médias sociaux à surtout proposer aux utilisateurs les types d’informations qui ont déjà suscité leur attention par le passé ou qu’ils ont partagés sur leurs réseaux sociaux. L’attention peut ainsi être optimisée. Étant donné que l’infinité du réseau nécessite une structuration et que les algorithmes sont utilisés à cet effet mais sont invisibles pour les utilisateurs, les «bulles de filtres» et «chambres d’écho» limitent la soi-disant diversité de l’information sur Internet. Un regard sur le monde qui renforce les préjugés existants se développe.
Ces changements dans la communication publique dus à la numérisation et à l’importance croissante des médias sociaux sont renforcés par l’évolution de la manière de s’informer des différentes générations. En Suisse, les médias sociaux constituent déjà la première source d’informations sur l’actualité pour 24 % des 18-24 ans, alors que ce n’est le cas que de 4 % des plus de 55 ans (fög, p. 7).
Comment les médias sociaux influencent-ils la diffusion de discours haineux?
Avant de montrer comment la numérisation et l’apparition des médias sociaux influencent la diffusion des discours haineux, nous voulons souligner que le discours haineux est un phénomène ancien, qui se manifestait bien avant l’apparition des médias sociaux, et que les discours haineux apparaissent dans la communication publique par vagues discontinues.
Comme le révèlent de nombreuses enquêtes, on observe des attitudes relevant de l’hostilité à l’égard de groupes particuliers ou du discours haineux chez une partie non négligeable de la population, y compris dans les sociétés démocratiques modernes, et ce déjà bien avant l’apparition des médias sociaux. Les chiffres varient selon la méthode de sondage, la minorité concernée et le moment de l’enquête, mais le problème est toujours significatif (pour un aperçu concernant l’antisémitisme Pfahl-Traughber; concernant l’islamophobie Hafez). «Internet fait simplement apparaître ce qui existait déjà dans la culture politique» (Hafez, p. 321).
Le recours au discours haineux est un phénomène qui n’est pas seulement ancien, mais qui s’exacerbe aussi régulièrement lors de périodes de crise sociale. En effet, les minorités sont traitées en «boucs émissaires» et exclues pendant ces périodes (Imhof). Dans le même temps, on constate une atténuation des inhibitions sociales relatives à l’utilisation de discours haineux. En raison de la perte de points de repère que connaissent de nombreuses sociétés démocratiques actuellement, il est possible qu’une partie non négligeable des discours haineux observés sur Internet soit due à des facteurs dont le seul lien avec la numérisation est que celle-ci augmente significativement la visibilité du phénomène. La part exacte n’est toutefois pas mesurable.
Il existe néanmoins aussi des arguments qui affirment que la modification des structures de communication publique due à la numérisation et à l’apparition des médias sociaux facilite la diffusion des discours haineux.
- En effet, alors que, dans les médias traditionnels, les journalistes continuent de jouer le rôle de gardiens et veillent, par exemple, à ce que les sections «Commentaires», modérées, ne puissent pas contribuer à la diffusion de discours haineux, de tels mécanismes de contrôle sont très peu présents dans les médias sociaux. Cette situation s’explique, d’une part, par le fait que les géants de la technologie se voient comme des opérateurs de plateformes qui mettent des infrastructures à disposition mais ne sont disposés qu’à assumer une responsabilité limitée concernant l’utilisation de ces infrastructures (Altmeppen; Sellars, p. 20-24). D’autre part, il est souvent difficile pour les victimes suisses de faire valoir leurs droits auprès de géants de la technologie de dimension mondiale.
- Les possibilités de la communication numérique permettent aux mouvements sociaux ou partis populistes qui discriminent les minorités en utilisant des discours haineux de plus facilement mobiliser et déchaîner des flots d’insanités («shitstorm») contre leurs victimes. Des actions organisées, lors desquelles sont également utilisés des outils technologiques tels que des social bots, c’est-à-dire des messages générés par ordinateur et diffusés largement, permettent à ces acteurs de donner l’impression que leurs messages haineux sont largement partagés. De telles actions limitent également considérablement les possibilités de communication en ligne des victimes des discours de haine. En outre, les médias sociaux permettent une meilleure mise en réseau de ces organisations, ce qui renforce leur puissance de feu.
- Les médias sociaux sont les médias de l’émotion. La communication dans les médias sociaux est davantage marquée par les émotions que celle des médias traditionnels, et vise à la construction de communautés (Lischka/Stöcker, p. 29-31). Plus la formulation d’un tweet est chargée d’émotion, plus il sera diffusé souvent et rapidement via des retweets (Stieglitz/Dang-Xuan). Et plus le nombre de termes connotés négativement utilisés dans une publication Facebook est élevé, plus elle sera commentée (Stieglitz/Dang-Xuan). Par ailleurs, les utilisateurs de plateformes sociales tirent leur plaisir principalement de la gestion de leurs relations et de leur identité, c’est-à-dire de la possibilité de se mettre en réseau avec leurs semblables et de faire leur autopromotion (Eisenegger). Une communication chargée d’émotion, utilisant des termes péjoratifs et visant la construction d’une communauté, y compris via l’exclusion, ne peut évidemment pas être directement assimilée à un discours haineux. Mais elle crée une culture de communication dans laquelle les discours haineux peuvent prospérer.
Est-il possible de prouver de manière empirique que les discours haineux progressent sur les médias sociaux?
Pour une grande partie des effets possibles des médias sociaux que nous avons abordés, nous ne disposons pas jusqu’à présent de suffisamment de preuves empiriques. Les études empiriques qui présentent l’évolution de la diffusion des discours haineux à l’ère de la numérisation et de l’apparition des médias sociaux sont encore rares. L’étude sur l’antisémitisme dans les médias sociaux réalisée à la demande du World Jewish Congress, qui a étudié un large échantillon de pays, a relevé en 2016 en moyenne 43 publications au contenu antisémite par heure, dont 41 % contenait un discours haineux à l’encontre des Juifs (WJC 2017, p. 14). En raison du manque actuel de chiffres comparatifs (à l’exception d’une étude portant sur janvier 2018), il n’est cependant pas possible de déduire une ampleur ou des tendances à partir de ces données. Le rapport de suivi de janvier 2018 a constaté une augmentation du nombre de publications contenant des symboles ou images antisémites en Suisse (WJC 2018, p. 5). Néanmoins, en raison du caractère unique et court de la période étudié, il est impossible de dire clairement s’il s’agit d’un hasard ou de premiers indices d’une tendance. C’est également particulièrement vrai parce que nous ne disposons pas de suffisamment d’autres chiffres systématiques pour la Suisse.
En ce qui concerne les plaintes et condamnations, le recueil des cas juridiques par la Commission fédérale contre le racisme révèle une tendance à la hausse (CFR), avec toutefois de grandes variations, qui s’expliquent en partie par des événements clés (conflits au Moyen-Orient, attentats islamistes, etc.). En outre, l’augmentation du nombre de plaintes peut s’expliquer par une augmentation des délits, mais aussi par un changement dans le comportement relatif aux plaintes.
Nous attendons donc toujours des études empiriques, qui permettraient, grâce à une observation systématique et comparative, de parler du développement du discours haineux dans les médias sociaux en Suisse. Nous ébaucherons ci-après les manières de concevoir de telles études.
Comment recenser correctement les discours haineux dans les médias sociaux?
La méthode de recensement des discours haineux dans les médias sociaux n’existe pas. D’une part, les bases de données et les possibilités de collecte des données des différents médias sociaux sont trop différentes et en constante évolution. D’autre part, le choix de la méthode dépend de l’information que l’on veut obtenir, c’est-à-dire de la question spécifique à laquelle on souhaite répondre et des conclusions que l’on souhaite tirer des données collectées.
Un recensement systématique des discours haineux dans les médias sociaux doit donc tenir compte des différentes spécificités de chaque média social. Ainsi, il est possible d’explorer complètement la communication sur Twitter via des mots-clés et associations de mots-clés, alors que ce n’est possible sur Facebook qu’avec des restrictions, par exemple sur des comptes prédéfinis. Il faut également noter que Facebook, par exemple, permet, outre la communication publique, une communication semi-privée ou privée, ce qui est un facteur limitant.
Les différences entre les offres des médias sociaux résident cependant aussi dans leur utilisation et leur portée. En Suisse, Twitter est particulièrement souvent utilisé par des personnalités politiques et représentants des médias. Il a donc le statut de média des élites à faible portée directe mais au fort potentiel de communication indirecte, y compris via les médias traditionnels. Facebook, YouTube et Instagram présentent une portée bien plus grande et une répartition sociale plus large des utilisateurs.
Le choix des approches méthodologiques doit également refléter le fait que les discours haineux peuvent se manifester sous des formes linguistiques bien différentes. Outre les déclarations univoques qui associent directement des minorités à certains termes et caractéristiques, certaines formes n’expriment le discours haineux que de manière implicite. Les déclarations du type «Une personne est x, alors qu’elle est y» en constituent un exemple, x étant une caractéristique positive et y l’appartenance à une minorité. En effet, le propos implique que la caractéristique évoquée ne peut généralement pas être attribuée à ce groupe. Une recherche assistée par ordinateur de termes et associations de termes permet de plutôt bien recenser les discours haineux explicites (Burnap; Taylor), mais montre très vite ses limites dès qu’il s’agit de communication haineuse implicite. Et, étant donné que la forme du discours haineux dépend aussi du niveau d’éducation, un recensement qui n’utilise que la recherche de certains termes ou associations de termes donnera un résultat dans lequel les personnes ayant un faible niveau d’éducation seront surreprésentées, alors que les discours haineux des élites, plus subtils, seront sous-représentés.
À l’égard de ces différences, il nous semble qu’une approche judicieuse pour recenser les discours haineux dans les médias sociaux qui concernent la Suisse et ses minorités doit s’intéresser à la nature de réseau des médias sociaux. Il s’agit concrètement d’identifier des réseaux dans lesquels les discours haineux sont fréquents et d’analyser de manière ciblée leurs contenus et flux de communication en utilisant une combinaison de recensement automatisé assisté par ordinateur et d’analyses approfondies par des codeurs formés à l’herméneutique. Une telle analyse de réseau est menée à partir de la communication sur Twitter, en connaissance des limites mentionnées. Dans un premier temps, un processus de recherche assisté par ordinateur répertorie tous les utilisateurs de Twitter qui diffusent des discours haineux. L’analyse des relations d’abonnement entre les différents utilisateurs permet ensuite, au moyen d’un algorithme (Blondel et al.) fonctionnant sur le principe de l’homophilie («Qui se ressemble s’assemble») (McPherson et al.), de modéliser un réseau dans lequel des communautés d’utilisateurs peuvent être identifiées. L’un des avantages de cette approche est qu’elle permet d’identifier dans ce réseau les utilisateurs et communautés liés à la Suisse. Dans ces réseaux, les organisations (médias, partis populistes, mouvements sociaux, etc) auxquelles se réfère la communication dans les médias sociaux et qui participe à l’orienter occupent souvent une place centrale. L’analyse herméneutique de publications haineuses peut ensuite parfaitement s’appliquer à ces concentrations de communication.
En outre, l’analyse des réseaux ne permet pas seulement de considérer les médias sociaux en tant que tels, mais aussi de s’intéresser à leurs relations aux médias de masse traditionnels grâce aux connexions. Il est ainsi possible, par exemple, d’identifier les publications des médias traditionnels auxquelles les publications haineuses dans les médias sociaux font référence. Inversement, une analyse de médias correspondante peut révéler quels éléments de la communication des médias sociaux sont repris et, le cas échéant, corrigés par les médias de masse. L’analyse de médias correspondante permet aussi d’identifier les formes de reportages des médias de masse et les événements clés rapportés qui provoquent particulièrement souvent une intensification des discours haineux dans les médias sociaux.
Comment combattre les discours haineux dans les médias sociaux?
La publication d’une photo du premier bébé de l’année et des heureux parents dans un hôpital de Vienne a provoqué une déferlante de flots d’insanités («shitstorm»), dont d’innombrables commentaires haineux, parce que le bébé ne portait pas un nom à consonance allemande et sa mère portait un foulard. En réponse, le secrétaire général viennois de Caritas, Klaus Schwertner, a lancé, avec succès, une campagne de «flowerrain»: des dizaines de milliers de personnes ont écrit des publications dans les médias sociaux pour apporter leur soutien à la famille et rejeter la haine sur Internet.
Ce petit exemple montre clairement que la diffusion de commentaires haineux n’est pas la seule à dépendre de l’engagement d’organisations, la lutte contre ceux-ci en dépend aussi. À cet égard, nous avons besoin d’organisations de la société civile. Elles peuvent conseiller les victimes, sensibiliser un large public à la question et, comme le montre l’exemple, organiser des campagnes de lutte contre le discours haineux.
Le rôle des organisations de la société civile, qui font converger l’engagement social, est si important qu’il faut les aider dans leur mission. Les institutions de l’État doivent jouer un rôle central dans la création du cadre législatif concernant l’engagement de la société civile. En tant qu’organes législatifs, elles doivent façonner l’environnement réglementaire de manière à ce que l’on n’abuse pas de son droit à la liberté d’expression pour violer les droits fondamentaux des minorités touchées par les discours haineux. La question de savoir comment établir les limites dans le cadre de ce processus de pesée des intérêts est controversée, comme le montre l’exemple de la loi allemande sur l’amélioration de l’application du droit sur les réseaux sociaux. Ne pas s’y attaquer n’est toutefois pas une solution.
L’influence des institutions étatiques ne se limite cependant pas à la définition du cadre juridique. Elles décident également de la répartition des moyens et ressources. Un engagement de la société civile fructueux nécessite également le soutien de l’État. La sensibilisation, le conseil aux victimes ou le recensement systématique des discours haineux dans les médias sociaux peuvent d’ailleurs tout à fait être considérés comme des missions d’un État qui protège tous ses citoyens. À cet égard, il peut accomplir ces missions par le biais d’institutions publiques ou de subventions à des organisations de la société civile.
Les médias portent néanmoins aussi une responsabilité. Dans le cadre de la lutte contre les discours haineux dans les médias sociaux, les médias traditionnels doivent remplir leur fonction de contrôle et de critique en rendant les incidents publics et en permettant un discours rationnel sur les limites de la liberté d’expression. Les géants de la technologie, qui ne sont pas uniquement des plateformes qui permettent la communication dans les médias sociaux mais influencent aussi cette communication via des algorithmes, ont le devoir, comme les groupes de médias traditionnels, d’assumer la responsabilité des contenus. Si l’on ne dispose en moyenne que de huit secondes pour vérifier une publication sur Facebook, comme l’avancent souvent les opposants à la loi sur l’amélioration de l’application du droit sur les réseaux sociaux, il ne s’agit toutefois pas d’un argument révélant que cette prise de responsabilité est impossible, mais un argument montrant qu’elle a un coût. Les évolutions actuelles semblent indiquer qu’au moins certains des géants de la technologie l’ont parfaitement compris.
*Dr. Patrik Ettinger, sociologue et historien, depuis 2015 vice-président de la fög – Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft/Universität Zürich.
Bibliographie
Altmeppen, Klaus-Dieter (2016): Die Re-Institutionalisierung des Journalismus durch die digitalen Konglomerate. Dans: Jarren, Otfried / Steininger, Christian (Ed.): Journalismus jenseits von Markt und Staat. Institutionentheoretische Ansätze und Konzepte in der Publizistik- und Kommunikationswissenschaft, Baden-Baden: Nomos, p. 209-218.
Blondel, V. D. / Guillaume, J. L. / Lambiotte, R. / Lefebvre, E. (2008). Fast unfolding of communities in large networks. Journal of statistical mechanics: theory and experiment, 2008(10), P10008.
Brosius, Hans-Bernd (2016): Warum Kommunikation im Internet öffentlich ist. Commentaire de l’article «Kommunikations- und Medienwissenschaft in datengetriebenen Zeiten» d’Andreas Hepps. Dans: Publizistik, 61, n° 4, p. 363-372.
Carlson, Caitlin Ring (2016): Hashtags and Hate Speech: The Legal and Ethical Responsibilities of Social Media Companies to Manage Content Online. Dans: Vanacker, Bastiaan/Heider, Don (Ed.): Ethics for a Digital Age. New York et al., p. 123-140.
CFR – Commission fédérale contre le racisme: Recueil de cas juridiques, disponible à l’adresse: http://www.ekr.admin.ch/services/f272.html.
Conseil fédéral de la Confédération suisse (2017), Un cadre juridique pour les médias sociaux: Nouvel état des lieux Rapport complémentaire du Conseil fédéral sur le postulat Amherd 11.3912 «Cadre juridique pour les médias sociaux».
Eisenegger, Mark (2017): Digitaler Strukturwandel der Öffentlichkeit – professionelle Informationsmedien nötiger denn je!, dans: Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft (Ed.): Jahrbuch 2017. Qualität der Medien. Schweiz – Suisse – Svizzera, Bâle: Schwabe Verlag, p. 7-16.
fög – Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft (2017): Reuters Institut Digital News Report. Ergebnisse für die Schweiz, disponible à l’adresse: https://www.foeg.uzh.ch/dam/jcr:8d44f1f2-ec81-4cb4-90f0-be453b1bba67/DNR_2017.pdf.
Hafez, Kai (2017): Hass im Internet. Zivilitätsverluste in der digitalen Kommunikation. Dans: Communicatio Socialis 50 n° 3, p. 318-333.
Heitmeyer, Wilhelm (Ed.) (2002): Deutsche Zustände, Folge 1. Francfort sur le Main: Suhrkamp.
Imhof, Kurt (2006): Die Diskontinuität der Moderne. Zur Theorie des sozialen Wandels, Francfort sur le Main / New York: Campus.
Lischka, Konrad / Stöcker, Christian (2017): Digitale Öffentlichkeit – Wie algorithmische Prozesse den gesellschaftlichen Diskurs beeinflussen. Gütersloh: Bertelsmann Stiftung, disponible à l’adresse: https://www.bertelsmann-stiftung.de/fileadmin/files/BSt/Publikationen/GrauePublikationen/Digitale_Oeffentlichkeit_final.pdf.
Marx, Konstanze (2017): Two sides of the coin: Hate speech as communicative pattern. Dans: 10plus1, n° 3, p. 42-45.
McPherson, M. / Smith-Lovin, L. / Cook, J. M. (2001). Birds of a feather: Homophily in social networks. Annual review of sociology, 27(1), p. 415-444.
Pfahl-Traughber, Armin (2017): Antisemitismus. Definition und Gefahrenpotential, dans: Bozay, K. / Borstel D. Ed.): Ungleichwertigkeitsideologien in der Einwanderungsgesellschaft. Wiesbaden: Springer VS, p. 83-102.
Rauchfleisch, Adrian / Vogler, Daniel (2018): #NoBillag auf Twitter: Grabenkämpfe zwischen Gegnern und Befürwortern, disponible à l’adresse: https://www.foeg.uzh.ch/dam/jcr:7b9901f5-2942-43e3-b3b3-e1345ae6a62b/%23NoBillag%20auf%20Twitter.pdf.
Sellars, Andrew F. (2016): Defining Hate Speech. The Berkman Klein Center for Internet & Society Research Publication No. 2016-20, disponible à l’adresse: https://cyber.harvard.edu/publications/2016/DefiningHateSpeech
Sirsch, Jürgen (2013): Die Regulierung von Hassrede in liberalen Demokratien. Dans: Meibauer, Jörg (Ed.): Hassrede/Hate Speech. Interdisziplinäre Beiträge zu einer aktuellen Diskussion. Linguistische Untersuchungen. Gießener Elektronische Bibliothek. p. 165-194.
Stieglitz, Stefan / Dang-Xuan, Linh (2012). Impact and Diffusion of Sentiment in Public Communication on Facebook. ECIS 2012 Proceedings. 98. Disponible à l’adresse: http://aisel.aisnet.org/ecis2012/98.
Stieglitz, Stefan / Dang-Xuan, Linh (2013). Emotions and Information Diffusion in Social Media – Sentiment of Microblogs and Sharing Behavior“. Journal of Management Information Systems (29), p. 4. 217–248.
Un cadre juridique pour les médias sociaux: Nouvel état des lieux. Rapport complémentaire du Conseil fédéral sur le postulat Amherd 11.3912 «Cadre juridique pour les médias sociaux», Berne, 10 mai 2017, disponible à l’adresse: https://www.bakom.admin.ch/bakom/fr/page-daccueil/suisse-numerique-et-internet/communication-numerique/medias-sociaux.html.
World Jewish Congress (WJC) (2017): The Rise of Antisemitism on Social Media. Summary of 2016, disponible à l’adresse http://www.worldjewishcongress.org/download/RVsVZzRXTaZwO41YbzlWwg.
World Jewish Congress (WJC) (2018): Anti-Semitic Symbols and Holocaust Denial in Social Media Posts. Javier 2018, disponible à l’adresse: http://www.worldjewishcongress.org/download/3KVjYgi8FNOTxdWd5HeFPw?utm_source=PRESS&utm_campaign=3d806f4ab8-EMAIL_CAMPAIGN_2018_02_08&utm_medium=email&utm_term=0_c3b21e69b1-3d806f4ab8-&utm_source=WJC+Mailing+Lists&utm_campaign=78bfed156d-EMAIL_CAMPAIGN_2018_02_08&utm_medium=email&utm_term=0_04292c525e-78bfed156d-318920277.
Le racisme en Suisse en 2016
La Suisse – un paradis pour néonazis?
Les mouvements de migration permanents vers l’Europe et les menaces terroristes continuent d’influencer le débat public en Suisse. En 2016, les mots-clés «politique d’emprise étrangère», «réfugiés/demandeurs d’asile», «musulmans/islamistes», «burqa/interdiction de la burqa», «néonazis» et «extrémisme de droite» ont dominé les débats dans les médias.
Depuis 40 ans, le baromètre des préoccupations de Credit Suisse (CS) nous renseigne sur l’état d’esprit qui règne en Suisse. En 2016, ce fameux baromètre a fêté un anniversaire et au total 1010 citoyens suisses ont été interrogés sur leur ressenti actuel. «Les principales préoccupations des Suisses semblent moins inquiétantes et ils sont globalement plus optimistes», écrit CS. Le chômage et le chômage des jeunes ainsi que la question des étrangers et des réfugiés restent toutefois les principaux sujets de préoccupation de la population.
La peur de l’étranger reste tenace et les ressentiments xénophobes sont toujours latents comme le montrent les innombrables commentaires et publications dans les réseaux sociaux ou dans les articles de journaux en ligne parus l’an dernier. Les éléments déclencheurs ont été les attaques terroristes (notamment à Nice et à Berlin) et la problématique persistante de la question des réfugiés en Europe. Les débats autour de la mise en œuvre de l’initiative d’immigration de masse a également suscité des débats houleux et explosifs.
La chronologie des incidents racistes que la GRA publie en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) a fait état en 2016 d’un nombre d’incidents similaire à 2015.
Il est important de noter que ce nombre est représentatif dans la mesure où la chronologie des incidents indiquée est celle qui est publiée dans les médias. Il s’agit d’une surveillance des médias permettant de se faire une image de l’ambiance générale en Suisse n’ayant toutefois pas la prétention d’être exhaustive sur le plan statistique.
Les chiffres réels relatifs aux incidents racistes ont été en 2016 également très élevés. La GRA et la GMS ont par exemple reçu presque quotidiennement des messages de victimes d’incidents racistes ou des signalements de violation de la législation contre le racisme. Cela concernait souvent Internet et/ou les réseaux sociaux et n’a par conséquent pas été pris en compte dans la chronologie.
Les incidents n’étant pas mentionnés dans les médias sont publiés chaque année par le «Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme» (coordonné par l’association humanrights.ch et la Commission fédérale contre le racisme – CFR) dans le cadre d’un rapport sur les incidents racistes traités dans le cadre de consultations. Dans ces rapports, les histoires de cas saisies dans une base de données commune de manière anonyme par des centres de conseil affiliés, sont évaluées. Par ailleurs, la CFR publie également au début de l’été, un rapport annuel relatant les décisions et les jugements rendus sur le plan national et international en matière de discrimination raciale dans différents domaines de l’existence.
Extrémisme de droite
En octobre 2016, 5000 néonazis venus de toute l’Europe se sont retrouvés à Unterwasser dans le canton de Saint-Gall pour un concert. Cette manifestation fut suivie d’un cri d’indignation. Depuis, le milieu de l’extrême droite en Suisse est de nouveau sous les feux de la rampe. Le parti nationaliste Suisse, PNOS, tente par ailleurs de profiter du climat actuel: Au cours des derniers mois, le parti a organisé d’autres rencontres essayant en collaboration avec des représentants d’extrême droite suisses et étrangers et a tenté de présenter la Suisse comme un «paradis pour néonazis». Le PNOS s’est adonné ici au jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre.
Après le concert néonazi d’Unterwasser, la GRA a déposé une plainte auprès du Ministère public compétent de Saint-Gall. Le but était de clarifier si lors de ce concert, les organisateurs ou les groupes qui s’y sont produits n’avaient pas enfreint l’article 261bis du CP.
Le but était également de lancer un débat et de sensibiliser les autorités suisses à la problématique de l’extrême droite. Les décideurs politiques impliqués (p. ex. les départements cantonaux de la justice et de la sécurité) doivent examiner en amont de manière critique les demandes qui leur sont soumises pour ce type de manifestations et travailler en collaboration avec les autorités fédérales afin de ne plus être dépassés par ce type de manifestations et leur ampleur comme cela a été le cas à l’issue du concert d’Unterwasser de Saint-Gall comme l’ont laissé entendre les autorités.
En raison de l’actualité, la GRA et la GMS publient cette année un article phare sur le thème de l’extrémisme de droite en Suisse: Fabian Eberhard, journaliste au «SonntagsZeitung» et expert en matière d’extrême droite, y explique les milieux d’extrême droite en Suisse et la manière dont ils se présentent actuellement. (Rapport d’approfondissement: L’extrémisme de droite en Suisse)
Antisémitisme
La Fédération suisse des communautés israélites, FSCI, qui collecte les incidents antisémites a enregistré 24 incidents en Suisse alémanique en 2016. Ceci n’inclut pas les déclarations antisémites proférées sur Internet. Les incidents graves ont impliqué une menace de mort, une tentative de chantage et deux actes antisémites. Vous pouvez consulter le rapport en intégralité sur www.antisemitismus.ch.
Islamophobie
Au cours de l’année dernière, les médias ont également rapporté divers incidents impliquant des discriminations et des insultes envers les musulmans en Suisse ainsi que des incitations à la haine contre les musulmans, les demandeurs d’asile et les réfugiés de manière générale.
L’Association des organisations islamiques de Zurich (VIOZ) a rapporté que le nombre d’incidents contre les musulmans avait de nouveau augmenté en 2016, ce, après qu’en 2015 le nombre d’incidents signalés ait déjà augmenté par rapport à l’année précédente.
La VIOZ a par ailleurs rapporté que les musulmans de Suisse faisaient plus particulièrement l’objet de discrimination et de racisme dans les domaines suivants: sur la voie publique (p. ex. violence contre les femmes portant le foulard), dans la recherche de logements (dans un cas publié, l’annonce stipulait déjà expressément que les musulmans étaient indésirables), dans la recherche d’emploi ou dans la recherche d’espaces de prière (mosquée). La privation de carrés musulmans dans les cimetières est également mentionnée. (La GMS a en 2014 à ce sujet publié une brochure d’information comportant des faits, des arguments et des points de vue ainsi que des fondements juridiques http://gms-minderheiten.ch/fr/projets/carres-musulmans/brochure/.)
Par ailleurs, les organisations musulmanes en Suisse reçoivent presque quotidiennement des lettres de menace et de haine et ont à ce titre porté plainte l’an dernier à plusieurs reprises.
Les organisations musulmanes décrivent un climat encore plus agressif et de rejet encore plus marqué envers les musulmans que les années précédentes.
Les débats sur l’interdiction du port de la burqa dans tout le pays se sont poursuivis en 2016 et il existe toujours une initiative qui collecte des signatures en faveur de cette interdiction. Le Tessin est le premier canton à avoir avoir voté une loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, entrée en vigueur le 1er juillet 2016. Les affiches de burqa de l’UDC récemment placardées dans le cadre de la votation sur la naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération continuent à entretenir les craintes et les préjugés au sein de la population.
Djihadisme
Comme l’écrit le Service de renseignement de la Confédération (SRC), la menace s’est encore accrue au cours des derniers mois en raison du terrorisme djihadiste. Cela est principalement dû au fait que ‹l’État islamique› envoie des personnes en Europe dans le but de perpétrer des attentats terroristes.» Parallèlement, le nombre d’interdictions d’entrée sur le territoire augmente en raison du djihadisme. L’Office fédéral de la police (Fedpol) a prononcé en 2016 entre janvier et fin octobre, 26 interdictions d’entrée sur le territoire de djihadistes comme l’ont indiqué les médias. L’année d’avant, ce chiffre était de 17 et au cours des trois années précédentes de 13 au total. Fedpol prononce ces interdictions en concertation avec le SRC «en vue de garantir la sécurité intérieure et extérieure».
Comme les experts l’écrivent également, on observe depuis plusieurs années également en Suisse une hausse de la radicalisation. Récemment, la mosquée An’Nur de Winterthour a fait les gros titres à ce sujet.
Le SRC écrit dans son rapport de situation 2016 que les «Des personnes radicalisées et prêtes à faire usage de violence pourraient, en Suisse aussi, passer à l’acte ou utiliser notre pays pour préparer des attentats visant d’autres États.»
Antitziganisme
En 2016, la chronologie fait état de 4 mentions concernant les gens du voyage en Suisse. Dans un cas, l’épisode a concerné des gens du voyage suisses ayant été chassés d’un emplacement à Waldkirch (SG) par des représentants communaux alors qu’ils disposaient d’un contrat valide avec le fermier local et qu’ils respectaient les prescriptions imposées. Dans un autre cas, la société pour les peuples menacés (SPM) a porté plainte fin juin contre un membre du Conseil municipal UCD de Lyss ayant eu des propos méprisants vis-à-vis des populations sinti, rom et yéniche. La SPM a par ailleurs envisagé d’engager des poursuites contre un membre du Conseil municipal de Bienne appartenant aux écologistes libéraux ayant affirmé que les Roms n’étaient pas un «peuple normal».
En 2016, de nombreux rapports ont été publiés dans les médias faisant état du manque d’emplacements pour les populations yéniche et sinti. Les cantons ont encore du mal à mettre suffisamment d’emplacements à disposition même s’ils y seraient légalement tenus. Régulièrement les citoyens refusent les sites proposés en opposant des arguments divers.
Il y a toutefois eu une nouvelle positive à signaler: pour la première fois, le Conseil fédéral a officiellement reconnu les Yéniches, les Sintis et les Roms comme faisant partie de la diversité culturelle suisse. Par ailleurs, il a publié fin décembre l’ébauche d’un plan d’action visant l’«Amélioration des conditions de vie nomade et promotion de la culture des Yéniches, des Manouches et des Roms.» Cela doit permettre de formuler des propositions d’amélioration notamment en matière d’emplacements pour les gens du voyage, d’éducation et de culture.
Profilage racial
En 2016, il a largement été question dans les médias de «profilage racial». Le terme vient des États-Unis et qualifie une intervention des autorités et bien souvent de la police, basée sur des critères d’apparence et des stéréotypes (délit de faciès). Une personne est considérée comme suspecte et arrêtée ou fouillée sur la base de critères d’appartenance ethnique, de couleur de peau ou de religion et non pas en fonction de moments de suspicion concrets.
L’institut de sondage et d’étude de marché Demoscope a mené en 2016 à la demande de la police municipale de Zurich un sondage représentatif au sein de la population sur le thème du sentiment de sécurité subjectif dans la ville. En dépit d’une opinion fondamentalement positive de la population envers la police municipale, près d’un tiers des personnes interrogées a toutefois déclaré que la police ne traitait pas tout le monde de la même manière. Cela vaut selon les personnes interrogées plus particulièrement pour les personnes au teint basané ou dont l’apparence indique qu’elles sont étrangères.
La chronologie n’a toutefois en 2016 enregistré aucun cas de «profilage racial», les chiffres réels sont toutefois probablement très élevés car les personnes concernées ne se tournent pas vers les médias. Un cas porté à la connaissance des médias en 2016 remonte déjà à sept ans plus tôt mais n’a été jugé devant le tribunal que fin 2016. Un homme de couleur a refusé de se soumettre à un contrôle d’identité dans un tram à Zurich. La situation a ensuite dégénéré et des coups ont été portés par les policiers selon le rapport du Ministère public. L’homme a alors porté plainte. Le Ministère public de Zurich a mené l’enquête et a suspendu la procédure à deux reprises. Les policiers auraient rapporté de manière unanime que les violences seraient parties du plaignant. Les moyens employés étaient totalement justifiés. L’homme a porté l’affaire jusque devant le tribunal fédéral Ce dernier a décidé qu’il n’était pas certain que les policiers soient hors de cause et a décidé de renvoyer l’affaire en novembre 2016 devant le tribunal de district de Zurich.
Prévention contre le racisme dans les écoles
Des études scientifiques ont montré que la prévention contre le racisme chez les enfants était une mesure efficace pour lutter durablement contre les préjugés, la xénophobie et le racisme. En collaboration avec l’Institut Marie Meierhofer pour l’enfant, la GRA a lancé il y a plusieurs années, un projet de prévention contre le racisme chez les enfants des jardins d’enfants. Concrètement, les établissements prenant en charge de jeunes enfants non scolarisés reçoivent des «boîtes de la diversité» visant à développer la tolérance chez les jeunes enfants (http://gra.ch/bildung/fruehkindliche-bildung).
Par ailleurs, la GRA a également développé un outil d’e-learning: L’outil web interactif nous permet de transmettre d’une manière moderne et en suscitant l’intérêt des jeunes une connaissance des expressions historiquement chargées (http://gra.ch/bildung/e-learning-tool). L’outil d’e-learning se base sur le «glossaire de la GRA sur les expressions historiquement chargées» que nous avons mis en ligne en 2010 sur le site web de la GRA et complété avec de nouvelles notions en fonction des événements actuels (http://gra.ch/bildung/gra-glossar/begriffe). Les principaux groupes cibles de l’outil d’e-learning sont les apprentis du second cycle II (14-16 ans).
En juin 2016, la CFR a publié son bulletin «Tangram» (N° 37) sur le thème de la prévention contre le racisme dans les écoles suisses. La CFR a dressé un état des lieux de la pédagogie antiraciste en Suisse et a constaté bon nombre de choses positives mais aussi qu’il restait encore beaucoup à faire et qu’il fallait une volonté forte pour lutter contre le racisme en politique, dans les institutions et dans les écoles».
Selon «Tangram», la Suisse accuse un certain retard en matière de prévention contre le racisme comparativement aux autres pays de l’Union européenne. Comme les auteurs de la CFR l’indiquent dans leur bulletin, la Suisse a du mal à ancrer durablement une éducation antiraciste dans les programmes éducatifs officiels de l’école obligatoire.
Par ailleurs, les cursus de formation des enseignants permettent certes de thématiser le racisme, toutefois uniquement dans un contexte d’envergure de diversité culturelle et de tolérance et sans confrontation directe ou débats critiques avec les aspects du rejet de l’autre et des comportements racistes. Dans le cadre de la formation des futurs travailleurs sociaux, la haute école de Lucerne se distingue. Elle propose depuis l’automne 2016 un module intitulé «Exclusion, racisme et extrémisme de droite» dans les cursus proposés.
Les villes et les communes doivent faire face dans les écoles à l’assimilation d’un nombre croissant d’enfants d’origine immigrée. La lutte contre le racisme dans les écoles est par conséquent plus urgente que jamais. La GRA s’efforce par conséquent à soutenir des projets promouvant à long terme la prévention contre le racisme.
GRA/GMS, Mars 2017
Rapport d’approfondissement: L’extrémisme de droite en Suisse
L’extrémisme de droite en Suisse
Après le grand rassemblement d’extrémistes de droite européens dans le canton de Saint-Gall en octobre dernier, nombreux se sont demandé, à juste titre, si nous n’assistions pas à une nouvelle montée en puissance des néonazis. Fabian Eberhard, spécialiste de l’extrême droite, se veut rassurant. Ses arguments: en Suisse, les structures d’extrême droite ne progressent pas et ne séduisent pas plus de jeunes qu’avant.
Par Fabian Eberhard
Le lendemain matin, les néonazis célébraient leur grand rassemblement sur Facebook: «Je suis fier et touché de la tenue de cette manifestation chez nous, en Suisse», écrit un utilisateur. «Nous avons enfin pu rendre légalement hommage à Hitler», vocifère un autre.
Quelques heures plus tôt, dans la soirée du 15 octobre 2016, plus de 5000 partisans d’extrême droite s’étaient réunis dans le canton de Saint-Gall. Dans la salle des fêtes et de tennis d’Unterwasser, ils ont commémoré une «Rocktoberfest» au son de grands noms de la scène européenne du rock néo-nazi, dont les groupes allemands Stahlgewitter et Frontalkraft ou encore la formation Amok, de l’Oberland zurichois.
Les extrémistes avaient leurré tout le monde. La commune pensait accueillir un concert de jeunes groupes suisses prometteurs. Les services de sécurité avaient parié sur la tenue de l’événement néo-nazi dans le sud de l’Allemagne. Enfin, le propriétaire de la salle n’escomptait pas plus de 600 visiteurs.
L’événement a mis les services de sécurité et les responsables politiques en état d’alerte. Il a aussi soulevé des questions. La menace d’extrême droite est-elle sous-estimée? La Suisse est-elle confrontée à une montée de la scène néo-nazie? Une chose est sûre: le concert d’Unterwasser est sans précédent. Le pays n’a été témoin d’aucun rassemblement comparable dans les milieux d’extrême droite ces dernières années. Concerts et manifestations du genre parvenaient difficilement à réunir plus d’une centaine de participants.
Prenons toutefois garde à ne pas surestimer la victoire des organisateurs d’Unterwasser. Les spectateurs venaient en grande partie de l’étranger. En Suisse, les structures d’extrême droite ne progressent pas et ne séduisent pas plus de jeunes qu’avant. Seuls quelques groupuscules tessinois et romands ont recruté une poignée de nouveaux membres en 2016. Dans l’absolu, les effectifs du mouvement en Suisse n’ont pas changé. Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) estime à près d’un millier le nombre d’extrémistes de droite prêts à faire usage de la violence. Un quart d’entre eux passent aux actes. Certains s’exercent au maniement des armes. Le SRC a connaissance de l’acquisition d’armes à feu, de leur négoce et, le cas échéant, de leur «emploi».
En Suisse, la majorité des extrémistes de droite provient des régions rurales, principalement des cantons de Genève, Berne, Zurich, Saint-Gall et d’Argovie. Blood & Honour et les Hammerskins suisses sont depuis des années les groupements les plus puissants. Les organisateurs du concert d’Unterwasser sont eux aussi proches de ces mouvements. Ces deux collectifs sont néanmoins dominés par les activistes d’âge moyen. Les jeunes y sont très peu représentés. De plus, ils ne parviennent pas à mobiliser leurs partisans à l’échelle nationale.
Bien que la scène d’extrême droite ne se soit pas développée en Suisse, on constate que les groupes existants étaient plus actifs et visibles en 2016 que les années précédentes. Le Parti nationale suisse (PNOS) surtout, qui défend une idéologie nationaliste de mouvance völkisch à l’échelle nationale, est apparu beaucoup plus souvent dans les médias. Il a organisé plusieurs rassemblements et concerts, au succès mitigé pourtant. De manière générale, on peut affirmer que les organisateurs d’événements musicaux ne parviennent pas, à l’heure actuelle, à se servir des concerts pour motiver les adeptes de la sous-culture d’extrême droite à exercer des activités politiques de plus grande portée. Ainsi, plusieurs tentatives visant à mobiliser les activistes lors de manifestations contre l’islam ont échoué l’année dernière. De même que la plupart des projets de création de sections du PNOS en Suisse orientale. Les néo-nazis de plusieurs cantons qui se sont regroupés pour constituer une «résistance nationale» ont connu le même sort. Le projet n’a pas dépassé la phase de planification.
En dehors des Hammerskins, du réseau Blood & Honour et du PNOS, majoritairement ancré dans le canton de Berne, plusieurs groupuscules sont actifs en Suisse alémanique. Ils se composent toutefois d’une poignée d’activistes qui les quittent rapidement et leur durée de vie est généralement courte. En mars 2016, par exemple, le Front d’action national avait fait parler de lui en collant des affiches hostiles à l’ouverture d’un foyer de réfugiés dans le Valais. Autre exemple, la communauté Avalon, völkisch et païenne, qui a organisé diverses conférences en petit comité. Une partie des membres de ces groupuscules appartiennent aussi dans d’autres organisations.
La popularité de certains groupes Facebook d’extrême droite est en revanche un phénomène plutôt nouveau. Les Helvetic Brothers, par exemple, se targuent de quelque 15 000 mentions «J’aime». Les paroles calomnieuses qu’ils diffusent sur la Toile contre les musulmans trouvent manifestement un écho favorable auprès d’une partie de la classe moyenne. Précisons cependant que seuls quelques partisans isolés de ces groupes franchissent le pas en dehors du monde virtuel. Ils étaient seulement quelques dizaines à participer à la première rencontre et aux distributions de tracts des Helvetic Brothers en 2016.
Alors que les attentats islamistes et la délicate situation de l’immigration ont profité aux mouvements d’extrême droite dans les pays voisins, les groupements suisses n’en ont pas tiré avantage. Bien qu’ils abandonnent eux aussi leurs revendications politiques traditionnelles telles que l’antisémitisme en faveur de l’islamophobie et de l’opposition à l’accueil des réfugiés, le succès n’est pas au rendez-vous. L’une des raisons de cet échec est que l’UDC, premier parti du pays et force politique acceptée dans la société, fait ouvertement siens, depuis des années, des éléments de l’argumentation xénophobe. Ce faisant, il s’accapare de potentiels extrémistes de droite.
Les exactions perpétrées par les extrémistes de droite restent des cas isolés. Cette mouvance n’en reste pas moins dangereuse. Les actes de violence isolés de néo-nazis peuvent se produire à tout moment. Unterwasser a également montré que le milieu est capable d’organiser des fêtes internationales au nez et à la barbe des autorités, quoiqu’il ait alors besoin d’un vaste soutien de l’étranger.
Il ne faut pas sous-estimer la portée de tels événements. D’une part, les recettes vont tout droit dans les caisses de structures violentes implantées en Suisse et à l’étranger (le concert d’Unterwasser a rapporté plus de 150 000 francs). D’autre part, la réussite de ces événements conforte les extrémistes dans leurs idées. Quand un événement de cette taille reste sans conséquence, la scène néo-nazie en tire une fausse légitimité. Le lendemain du concert à Unterwasser, l’un d’entre eux a rédigé dans un blog: «Quelle merveille cela a-t-il dû être de voir 5000 camarades chanter les paroles de <Sieg> (victoire) du début à la fin en tendant haut le bras.»
Fabian Eberhard, 33 ans, journaliste d’investigation à la «SonntagsZeitung», est un grand connaisseur des milieux d’extrême droite en Suisse.
21. Mars 2017
L’extrémisme de droite en Suisse en 2005/3
Organisations politiques
Ces dernières années, les extrémistes de droite ont aussi tenté de constituer des partis politiques dans le but de participer aux élections. La plupart de ces projets ont généralement fait long feu, à l’instar du Parti national suisse (NPS) de David Mulas. Le Parti nationaliste suisse (PNOS) constitue la seule exception et s’est doté de structures solides entre-temps. Le bâlois Eric Weber, qui s’était porté candidat aux élections au Conseil national en 2003 et aux élections au Grand Conseil de Bâle-Ville en 2004 sur la liste des Démocrates suisses (DS) avec son “Action populaire contre un trop grand nombre d’étrangers et de requérants d’asile dans notre patrie”, n’a pas exercé d’activité politique en 2005. Lors des élections de 2004, Eric Weber avait été pincé alors qu’il tentait d’acheter des voix. Il peut se targuer d’une longue carrière dans les milieux d’extrême droite. En 1986, il a été élu au Grand Conseil sur la liste de l’Action nationale, où il s’est rapidement fait remarquer par son impertinence. Après son exclusion du Grand Conseil, il s’est installé pendant plusieurs années en Allemagne, où il a tenté de se lancer dans le journalisme. Il a déjà été jugé au début des années 90 pour falsification de documents.
A la fin décembre 2005, le Parti nationaliste suisse (PNOS) a annoncé qu’il présenterait deux candidats aux élections du Grand Conseil de Berne, à savoir Dominik Lüthard, musicien du groupe d’extrême droite “Indiziert” et Tobias Hirschi, qui est déjà municipal à Langenthal. Ce petit parti a remporté des succès électoraux au cours des vingt-quatre derniers mois : Tobias Hirschi a été élu au conseil communal de Langenthal en octobre 2004, toutefois avec un taux de participation très faible. En 2003, Ralph Aschwanden n’avait obtenu dans le canton d’Argovie que 0.13 % des voix aux élections du Conseil national.
Le PNOS tient aussi une boutique en ligne, dont l’adresse est une case postale à Interlaken. L’offre de produits est cependant restreinte et englobe un drapeau et un insigne du PNOS, les anciens numéros encore disponibles de la revue du parti intitulée “Zeitgeist” (L’esprit du temps), ainsi que huit livres, dont celui de Luzi Stamm, conseiller national de l’UDC, une brochure du révisionniste romand Philipp Brennenstuhl et le “Guillaume Tell” de Friedrich Schiller. A la fin 2005, le parti distribuait aussi l’”Agenda 2006 de la résistance nationale”, qui contient notamment des portraits de représentants du Troisième Reich.
Le PNOS a été constitué à Liestal au début de septembre 2000. Son premier président était Sacha Kunz, ancien membre de l’organisation skinhead raciste Blood and Honour ; Jonas Gysin en assurait alors la vice-présidence. Le premier programme du parti prônait notamment l’exclusion des étrangers du système des assurances sociales et le versement d’allocations familiales aux familles suisses exclusivement. Un programme en vingt points publié ultérieurement contient aussi des allusions directes au programme de l’ancienne NSDAP, par exemple concernant la question de la qualité de citoyen : selon les revendications du PNOS, seules les personnes “qui font partie du peuple ou qui en sont si proches de par leur origine et leur culture que leur intégration ne pose pas de problème” peuvent être considérées comme des citoyens. Le PNOS veut une “Europe européenne” et “le renvoi rapide des étrangers d’une autre culture dans leur pays d’origine”. Le parti réclame également l’abrogation de la norme pénale antiraciste, notamment au profit des négationnistes de l’holocauste. Il se propose en outre d’abolir “l’économie partisane” et de nationaliser les médias et le soutien aux familles exclusivement au profit “des indigènes”, c’est-à-dire des citoyens suisses. Au printemps 2005, l’Office d’instruction pénale d’Aarau a condamné l’ancien président du PNOS Jonas Gysin ainsi que trois autres membres de la direction du parti à payer des amendes pour discrimination raciale, dans la mesure où le programme du PNOS constitue “une insulte collective aux étrangers”. Les condamnés ont fait appel en première instance. Jonas Gysin a démissionné un mois plus tard ; depuis lors, le parti est dirigé entre autres par Denise Friederich, Andrè Gauch, Michael Haldimann et Adrian Spring.
A la fin 2005, le PNOS avait des sections dans les cantons d’Argovie, Berne, Fribourg et Soleure ainsi qu’une antenne à Langenthal. Denise Friedrich, la responsable des relations du PNOS avec les médias a affirmé dans une interview que le parti comptait plusieurs centaines de membres. Ces indications ne sont pas vérifiables. Il n’est pas non plus possible de prédire avec certitude à quel rythme le PNOS pourrait créer de nouvelles sections cantonales. A la fin 2005, Stephan Wüthrich, le représentant du PNOS à Langenthal a expliqué dans le cadre d’une interview pour un forum d’extrême droite que “le parti dispose d’un réservoir de membres potentiels en Suisse centrale et à Zurich et que l’établissement de nouvelles sections n’est qu’une question de temps. Mais nous accorderons la priorité aux élections au Grand Conseil ces prochains temps, car elles revêtent davantage d’importance.”
Conclusion : en l’espace de cinq ans, le PNOS est parvenu à mettre sur pied des structures stables en dépit de changements fréquents à la tête du parti. En outre, il est désormais en mesure de présenter des candidats aux élections locales et cantonales. Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, un parti d’extrême droite est ainsi parvenu à participer continuellement pendant un certain temps à la politique institutionnalisée. Son objectif avoué est un “socialisme fédéral” non expansionniste, mais présentant de nombreuses similitudes avec le national-socialisme et le fascisme italien du point de vue économique et social.
Des cadres d’extrême droite à l’armée
Le 1er août, Samuel Schmid, président de la Confédération et chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et du sport (DDPS) a quitté la prairie du Grütli visiblement irrité. Peu après, le DDPS a fait savoir qu’il recherchait les extrémistes de droite dans ses rangs et infligerait éventuellement des sanctions : “Les personnes qui affichent des convictions d’extrême droit n’ont pas leur place dans l’armée”. Le service de lutte contre l’extrémisme dans l’armée a notamment été chargé de procéder à des vérifications concernant l’obligation de servir, l’incorporation et le grade militaire d’extrémistes de droite notoires. Il s’agissait déterminer si des extrémistes de droite sont astreints au service militaire, si l’on compte des cadres parmi eux et s’il en résulte un risque pour la sécurité. “L’armée veut éviter que des personnes défendant de telles opinions obtiennent de l’avancement, occupent une position de cadre et puissent ainsi propager leurs convictions”, a précisé M. Sievert. Des mesures adéquates seront prises si le service identifie des personnes qui constituent un risque pour la sécurité. Ces dernières seront mutées dans un domaine non sensible ou exclues de l’armée.
Les mesures annoncées n’ont pas été concrétisées, mais démenties : au début du mois de décembre, le chef du DDPS Samuel Schmid a expliqué qu’il n’était pas possible, à défaut de bases légales et d’une définition claire des critères de jugement, d’exclure une personne du service militaire en raison de ses activités extrémistes dans le civil. L’intervention du conseiller national socialiste lucernois Hans Widmer était motivée par divers articles de presse, selon lesquels des extrémistes de droite auraient fait carrière dans l’armée en qualité de sous-officier ou d’officier. Parmi eux se trouvaient des personnes qui avaient été jugées pour avoir agressé des personnes appartenant à des minorités.
Mais l’armée suisse est aussi multiforme. Les hommes et les femmes qui accomplissent leur service militaire se distinguent au niveau de leurs croyances religieuses, leur couleur de peau et leur orientation sexuelle. Chacun d’eux doit avoir la certitude qu’il ne sera pas harcelé, brimé ou discriminé pour des motifs religieux, raciaux ou sexuels. Ce droit n’est pas garanti avec des sous-officiers et des officiers se réclamant de l’extrême droite.
Tel n’est visiblement pas encore le cas. A la mi-août 2005, deux sous-officiers et deux recrues de l’école de recrues d’Isone ont proféré, lors d’une marche, des propos comme “tous les juifs et les nègres devraient être exterminés.” Les quatre militaires se sont également fait remarquer pour avoir fait usage du salut hitlérien. Onze recrues se sont plaintes au commandant de l’école, qui a immédiatement renvoyé ces quatre militaires et ordonné une enquête. Fort bien ! Mais le juge d’instruction militaire a estimé que ces déclarations ne constituaient pas une violation de la norme pénale antiraciste, dans la mesure où elles avaient été faites dans le cadre privé d’une compagnie. Marcel Alexander Niggli, l’auteur du commentaire juridique relatif à la norme considère cette décision comme totalement „erronée”. Le commandant de l’école responsable n’a cependant pas donné suite à la proposition du juge d’instruction et ordonné une enquête. Il n’en reste pas moins que ce jugement est révélateur de l’attitude de l’armée à l’égard des extrémistes de droite.
Opposition nationale extraparlementaire (Napo)
En 2005, l’Opposition nationale extraparlementaire (Napo) n’a fait parler d’elle qu’à deux reprises, lors d’une manifestation organisée à Schaffhouse et une autre à Aarau. Le soir du samedi 12 mars 2005, environ 150 extrémistes de droite ont défilé dans les rues désertes de Schaffhouse, d’abord sans vraiment attirer l’attention du public. Bernhard Schaub, l’instigateur de la NAPO, a fait un discours et les participants ont distribué des tracts aux rares passants. Selon ce document, la Suisse ne serait pas gouvernée par le peuple, mais – comme tous les pays occidentaux – “par un groupuscule de la mafia internationale” et que “ces criminels internationaux de l’argent apatride ont mené deux guerres mondiales contre l’Allemagne avant d’ériger leur domination planétaire sur les ruines de l’Europe”. Ils seraient aussi bien les “maîtres du capitalisme” que du communisme et représenteraient “le véritable impérialisme étranger”.
Le 30 avril, une cinquantaine d’extrémistes de droite ont répondu à l’appel de la Napo – adressé uniquement aux membres de l’organisation – et participé à une manifestation surprise à l’occasion de la fête du travail. Bernhard Schaub a tenu un discours violemment antisémite. La police cantonale argovienne n’a pas coupé court à ces propos incendiaires, mais a ouvert après coup une procédure pénale pour violation de la norme antiraciste.
L’Opposition nationale extraparlementaire (NAPO) a fait parler d’elle pour la première fois en 2003. Selon son “programme d’action”, l’objectif de la NAPO est “de perturber le pouvoir des médias dans notre système politique et de préparer un changement de pouvoir en Suisse dans l’esprit d’un état populaire”. Cela implique notamment l’expulsion des résidents de provenance non européenne, car la NAPO considère les “personnes d’une autre culture et d’une autre race qui vivent dans notre pays et en Europe comme des occupants civils”. Le programme précise que “la NAPO se mobilise pour le rapatriement des personnes d’autres races et d’autres cultures”. Parmi ses “visions”, le parti évoque des familles nombreuses de race blanche. Il s’agit donc clairement d’un texte raciste. En 2003 et en 2004, d’autres tracts ont été distribués dans divers endroits en Suisse alémanique, où ils n’ont guère suscité d’attention.
Négation de l’Holocauste
Les révisionnistes nient trois faits historiques patents : premièrement, qu’un plan destiné à éliminer les Juifs d’Europe ait été élaboré, deuxièmement que des chambres à gaz aient été construites pour éliminer les victimes et, troisièmement, que la persécution des Juifs par les nazis s’est soldée par la mort de près de six millions d’entre eux. En 2005, l’Internationale négationniste a visiblement perdu terrain. Si divers de ses représentants, comme le Français Robert Faurisson, se plaignent depuis plusieurs années de la crise qui frappe la scène révisionniste , une grande partie de son infrastructure n’a cependant été paralysée qu’à la fin de l’automne 2005. Avec l’arrestation et l’extradition de Germar Rudolf, le plus grand éditeur bilingue est devenu inactif, tout comme le principal magazine révisionniste disponible en langues allemande et en anglaise ainsi que le site Internet le mieux documenté. Même si des déclarations de politiciens iraniens sont volontiers citées, par exemple celles du président Mahmoud Ahmadinejad récemment élu, elles ne constituent pas une preuve d’une collaboration plus étroite entre les négationnistes et les islamistes.
La première apparition publique des révisionnistes suisses remonte au début des années 90. Lors de la campagne référendaire en relation avec l’introduction de la norme pénale antiraciste, les quatre principaux représentants du mouvement Jürgen Graf, Arthur Vogt, Andres J. Studer et Bernhard Schaub se sont d’abord organisés dans le cadre de la Communauté de travail pour lever le tabou de l’histoire contemporaine (Arbeitsgemeinschaft zur Enttabuisierung der Zeitgeschichte – AEZ), rebaptisée ultérieurement Communauté de travail pour les recherches sur l’histoire contemporaine (Arbeitsgemeinschaft zur Erforschung der Zeitgeschichte – AEZ). L’AEZ a réduit ses activités à partir du milieu des années 90, sur quoi les révisionnistes suisses alémaniques se sont alliés avec leurs collègues suisses romands au sein de l’association Vérité & Justice.
L’édition de décembre 2005 de la publication „Courrier du continent” de Gaston Armand Amaudruz contenait une communication de l’association „Vérité et Justice”, selon laquelle son secrétaire général René-Louis Berclaz était sorti de prison après 344 jours de détention. René-Louis Berclaz réfute la norme pénale antiraciste et donc aussi son obligation de contrôler les informations – inspirées selon lui du “Protocoles des sages de Sion”.
Le fait est que l’association „Vérité et Justice” (dissoute en mars 2002 par le tribunal du district de la Veveyse à Châtel-Saint-Denis) n’a, pour la première fois en 2005, pas exercé d’activités dignes d’être mentionnées. A la fin 2005 “Vérité et Justice” n’avait d’ailleurs plus de site Internet. Jürgen Graf, l’ancien président de l’association, n’est plus actif en Suisse. Il s’est exilé afin d’échapper à une peine de prison de quinze mois et vit aujourd’hui en Russie. L’automne dernier, un comité de soutien a cependant annoncé la publication, au printemps 2006, d’un livre contenant des articles déjà parus et des textes inédits et fait une demande des dons dans ce sens.
Le dernier projet de Bernhard Schaub semble également motivé par des considérations politiques. Il a ouvert un centre de “gymnastique nordique” à Dornach, au siège du mouvement anthroposophique. Cette gymnastique est qualifiée de nordique parce qu’elle correspond aux “mouvements corporels des populations d’Europe centrale et des pays nordiques”. Elle se fonde sur les méthodes développées par Graf Fritz von Bothmer et Hinrich Melau. Graf F. von Bothmer était un anthroposophe et Hinrich Melau est le fondateur d’une “gymnastique allemande” qui était très populaire auprès de l’association des jeunes filles allemandes sous le Troisième Reich.
Bernhard Schaub
En Suisse, les apparitions publiques de Bernhard Schaub sont restées rares en 2005 et l’Opposition nationale extraparlementaire (Napo) dont il est le fondateur n’a fait parler d’elle qu’à deux reprises. C’est lui qui a pris la parole aussi bien à Schaffhouse qu’à Aarau. Contrairement aux années précédentes, il n’a pas usé du mégaphone lors du rassemblement d’extrême droite du 1er août à Brunnen, bien qu’il était présent sur le site selon des témoins. Mais Schaub a été actif en Allemagne. Il a fait plusieurs apparitions publiques en compagnie du révisionniste Horst Mahler, par exemple à la fin février 2005 au “Collegium Humanum” à Vlotho dans le nord de l’Allemagne, où les deux acolytes ont présenté un exposé intitulé “L’Allemagne, le Reich de la liberté” ou “L’avenir de la démocratie est sa disparition”, visiblement dans le but de mettre sur pied un mouvement du Reich. Schaub et Mahler étaient également présents à Vlotho en novembre, à l’occasion d’une réunion de l’”Union pour la Réhabilitation des Persécutés de la Négation de l’Holocauste”, dont Schaub assure la présidence depuis la création du mouvement en 2003. Quelques jours auparavant, il avait assisté à l’ouverture du procès contre le révisionniste Ernst Zündel à Mannheim. A la fin octobre 2005, Schaub a animé avec Horst Mahler dans la ville thuringeoise de Mosbach bei Eisenach un séminaire du “Mouvement du Reich”, dont l’objectif d’apprentissage – selon un participant – était de faire évoluer le “réflexe de distanciation” habituel que l’on rencontre dans des milieux nationaux lorsqu’on mentionne le nom d’Adolf Hitler”. A cette occasion, Bernhard Schaub a parlé de “l’esprit du peuple” et rappelé qu’Hölderlin avait évoqué avec passion “le génie allemand, l’esprit du peuple allemand”, qui “s’est cristallisé cent vingt ans plus tard dans Adolf Hitler”.
Depuis son nouveau domicile de Dornach, Berhard Schaub – actuellement l’unique extrémiste de droite suisse dont le rayonnement dépasse les frontières du pays – continue d’éditer son bulletin “WotansWort”, même si le lien avec le site Internet du Napo n’est plus actif depuis un certain temps. En 2005, Schaub a réédité “dans le cadre d’une impression privée pour un cercle d’amis” un nombre limité d’exemplaires du livre “Gold in the furnace” (L’or des fours crématoires. Un hommage à l’Allemagne”, une apologie d’Hitler sous la plume de Savitri Devi Mukherji. Cette représentante d’un ésotérisme hitlérien écrit que les chambres à gaz n’ont jamais existé sous le Troisième Reich et qualifie les déclarations des survivants des camps de concentration comme des “mensonges juifs”.
Les extrémistes de droite suisse sur Internet
En Suisse, la scène d’extrême droite ne dispose que de rares moyens de communication, en particulier de médias imprimés. Depuis quelques années, elle est capable de maintenir sur Internet des “portails d’information” qui commentent plus ou moins régulièrement les événements actuels et diffusent parfois des communiqués de presse d’organisations d’extrême droite. Reste à savoir si ces portails sont utilisés en dehors de cercles restreints.
Mis à part ces portails, divers “forums de discussion” existent depuis quelques années et permettent aux personnes intéressées d’échanger leur point de vue, généralement après inscription préalable. A la fin 2005, les plates-formes de discussion suivantes étaient notamment actives : le “Forum national suisse” sur le site du revendeur de disques White Revolution, le “Forum Hammerskin”, ainsi que le forum de “Blood and Honour Suisse”, qui est essentiellement utilisé par des Suisses romands.
Freie Stimme / Altermedia Schweiz
A la mi-septembre 2005, le portail d’information “Freie Stimme”(Voix libre) a fait savoir qu’il cessait la plupart de ses activités, car la politique – “ou du moins le jeu montré au citoyen démocratique lambda” – se déroule souvent selon un scénario immuable, si bien qu’une perte de motivation est inévitable à terme. Deux mois plus tard, une autre communication a éclairé cette affirmation sous un autre jour: “Il y a une semaine, une perquisition a été conduite par trois agents de police au domicile privé de la rédaction de “Freie Stimme” ; deux ordinateurs et plusieurs supports de données ont été saisis. Une perquisition a eu lieu au même moment au domicile d’une autre personne que la police soupçonne de collaborer avec Freie Stimme/Altermedia Schweiz.”
La procédure pénale a été ouverte après la publication, à la fin mai, d’un communiqué de “Freie Stimme” au sujet de l’inauguration du mémorial de la Shoa à Berlin, dont les auteurs proposaient “que les personnes responsables de l’édification de ce mémorial réduisent un jour la taille des 2711 stèles de béton avec un marteau de façon qu’il n’en reste que de la poussière. La poussière de la plus grande humiliation de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe.” Ce communiqué a poussé un particulier à porter plainte pour violation de la norme pénale antiraciste.
Depuis la mi-2002, “Freie Stimme” publie régulièrement des commentaires sur l’actualité dans une perspective pronazie et raciste, parfois avec des connotations antisémites, parfois avec des insinuations qui laissent transparaître une certaine sympathie pour les négationnistes de l’holocauste. Alors que “Freie Stimme” commente généralement les activités du camp nationaliste conservateur sur un ton bienveillant, le conseiller fédéral Christoph Blocher a au contraire été critiqué au sujet de sa politique de migration : tout comme son parti l’UDC, il a été accusé de jouer un “double jeu”, car il aurait “répété à maintes reprises que la Suisse avait besoin des étrangers et que son économie était tributaire de l’immigration”. En d’autres termes, “Freie Stimme” estime que la politique des étrangers de Blocher et de l’UDC manque de cohérence.
Le site d’information Altermedia est toujours actif en Suisse romande. Ce portail international diffuse des informations du monde entier aux personnes de lignée européenne (World Wide News for People of European Descent). Il se targue d’être la voix de ceux qui refusent de sacrifier leur liberté d’opinion sur l’autel du politiquement correct, c’est-à-dire de toutes les mouvances nationalistes et d’extrême droite. Le site d’information interactif en langue française publie surtout les communiqués de partis comme l’UDC ou le PNOS ou de leurs représentants. En 2005, l’offre s’est cependant limitée à la diffusion de communiqués ou de textes publiés sous une autre forme. Nul ne sait qui exploite ce site suisse romand.
Altermedia Suisse et Novopress Suisse
Mis à part Altermedia Suisse, il existe un deuxième portail d’information suisse romand, à savoir Novopress Suisse, qui est également au service du combat identitaire. Les commentaires hebdomadaires signés “Saint Martin” sont particulièrement virulents. Novopress Suisse est proche de la mouvance des Identitaires et diffuse aussi les messages des Identitaires de Romandie.
Dans toutes les subcultures de jeunes, la musique joue un rôle d’identification et de valorisation, d’une part en tant que vecteur d’une certaine joie de vivre et, d’autre part, en tant que moyen de diffusion de messages politiques. Les concerts servent à cimenter le groupe et à diffuser des messages politiques, surtout lorsqu’ils sont organisés par des skinheads néonazis, car on y trouve généralement des stands qui proposent aussi bien des enregistrements que des livres/brochures ainsi que d’autres articles typiques du mouvement. Jusqu’à la publication de l’arrêt du Tribunal fédéral concernant la norme pénale antiraciste et la notion d’événement “public”, la police et le juge d’instruction considéraient les concerts skinheads néonazis comme des manifestations privées, même s’ils réunissaient plus de mille personnes et si l’annonce du concert était accessible aux journalistes.
Ces dernières années, plusieurs groupes suisses d’extrême droite se sont fait connaître du grand public ; le groupe bâlois Sturmtruppen Skinhead existe depuis plus d’une décennie, alors que le groupe de Suisse orientale “Erbarmungslos” de la mouvance Hammerskin a été créé un peu plus tard. Les membres du groupe lucernois “Dissens” se réclament également du mouvement Hammerskin. En 2005, les groupes zurichois et valaisan “Amok” et “Helvetica” ont donné des concerts, mais n’ont pas encore publié d’enregistrements, contrairement au groupe de rock patriotique “Indiziert”, le plus connu dans notre pays.
Un concert et ses conséquences
Au début, tout était sous contrôle. Quelques centaines de nazis se sont rassemblés à l’occasion d’un concert à la mémoire de Jan Stuart, le fondateur décédé de Blood and Honour. La police cantonale valaisanne a affirmé avoir conscience de sa responsabilité, même si le concert était illégal faute d’avoir été annoncé. Elle a contrôlé l’identité d’une soixantaine de personnes, sans rien constater d’illicite. Le calme régnait sur le site de la manifestation et les échos du concert n’étaient pas audibles à l’extérieur.
Dix jours plus tard, le magazine d’information “Rundschau” de la Télévision suisse alémanique DRS a diffusé un film tourné avec une caméra cachée qui prouvait de manière éclatante le caractère raciste de cette manifestation. Le groupe néonazi zurichois “Amok” a chanté des textes comme : “Aiguisez les longs couteaux sur le bitume, plantez-les dans le corps des Juifs. Le sang doit couler à flots et nous déféquons sur cette république juive.” Le film a également révélé que des enregistrements et des livres du même acabit étaient en vente sur plusieurs stands. La police cantonale valaisanne a alors ouvert une procédure pénale, notamment pour violation de la norme anti-raciste.
Conclusion : L’émission “Rundschau” a montré que les actes racistes étaient perpétrés à l’intérieur de la salle lors de concerts skinheads néonazis. Etant donné le caractère public de ces manifestations, la police devra donc interdire les réunions de ce genre à l’avenir ou les surveiller depuis l’intérieur.
En 2005, les quatre musiciens du groupe de rock bernois d’extrême droite “Indiziert” ont participé à une manifestation électorale du NPD à Bayern ainsi qu’à un concert de la section autrichienne de Blood and Honour. Sur son site Internet, la formation propose un compte-rendu de six concerts et annonce qu’elle enregistrera un nouveau CD à la fin 2005. Mais les problèmes rencontrés par le premier enregistrement “Eidgenössischer Widerstand” (résistance helvétique) sont loin d’être surmontés. Le message est clairement d’inspiration raciste, même s’il est transmis sous la forme de couplets boiteux : “Nous devons nous battre sans relâche pour une Suisse pure et blanche afin de devenir une entité forte, faute de quoi notre peuple risque de disparaître. Le temps est venu de chasser les étrangers.” En Allemagne, l’office fédéral de contrôle des médias dangereux pour la jeunesse a condamné l’enregistrement d’Indiziert, car les textes de certaines chansons “pourraient inciter au racisme”.
Indiziert
Le groupe de rock Indiziert se compose des frères Alex et Cedric Rohrbach, de Dominic Lüthard et de Benjamin Lingg. A la fin 2005, Dominic Lüthard a annoncé qu’il se portait candidat au Grand Conseil du canton de Berne sur la liste du PNOS. L’enregistrement “Eidgenössischer Widerstand” a été produit et distribué par Ulfhednirs Records, dont l’adresse postale est à Niederhasli (ZH). Ce label de disques distribue essentiellement des disques de heavy-metal NS. Le nom des propriétaires de la firme n’est pas connu à ce jour.
Le 11 juin 2005, plusieurs centaines d’extrémistes de droite se sont réunis à Ennenda, dans le canton de Glaris. La manifestation a dégénéré en bagarre générale, laquelle n’a pris fin qu’après l’intervention de la police. Selon les commentaires publiés par l’intermédiaire de divers forums d’extrême droite, les Hammerskinheads se sont pris de bec avec les skins de la mouvance Blood and Honour. Le concert avait été annoncé comme un „événement helvétique” et a été organisé par la société Ufhednirs Records domiciliée à Niederhasli dans le canton de Zurich. Il s’agit de l’unique concert d’une certaine importance mis sur pied en Suisse en 2005 par cette partie de la scène heavy metal qui affiche ouvertement sa sympathie pour le national-socialisme.
Dark Wave et Black metal NS – deux subcultures proches des courants d’extrême droite
Des courants néo-fascistes ont également été observés sur une petite partie de la scène Dark Wave/Neo-folk. Des concerts de ce genre sont organisés en Suisse, surtout en Romandie. Le Viennois Gerhard Petak (alias Kadmon) s’est par exemple produit à Yverdon à la fin octobre 2005. Gerhard Petak compte depuis des années parmi les représentants les plus connus de la scène néo-folk d’inspiration néo-fasciste. La soirée a été organisée par l’association “Soleil Noir” présidée par le lausannois Lars Kophal. L’idéologie ambivalente de Soleil Noir transparaît dans le portrait de l’association, qui affirme d’emblée être “apolitique” avant d’ajouter “nous vomissons la modernité sans racines, le matérialisme sans âme, l’ultralibéralisme destructeur, l’exploitation des travailleurs par le grand actionnariat international, la globalisation-standardisation planétaire, la grande soupe fade du multiculturalisme, l’américanisation comme la tiers-mondisation. Accessoirement, nous sommes suisses et européens et n’en ressentons ni honte ni culpabilité”. Cette approche culturelle pessimiste et centrée sur l’Europe est justifiée politiquement par des citations élogieuses de l’idéologiste fasciste Julius Evola. Une grande partie de la scène Dark Wave/Neo-folk ne se montre pas critique à l’égard de cette minorité d’inspiration néo-fasciste, et des journalistes peu critiques partagent parfois cette opinion.
Trois organisations – dont Soleil Noir – ont annoncé qu’elles organiseraient un festival de deux jours à Yverdon durant le week-end de Pâques 2006.
Vente de livres et de musique par correspondance
Jusqu’à ces dernières années, les extrémistes de droite suisses n’avaient pas d’autre choix que d’acheter des livres et des enregistrements à l’étranger. Même si une grande partie du matériel provient encore de l’étranger à l’heure actuelle (surtout de l’Allemagne), un distributeur était actif n Suisse jusqu’à l’automne 2005.
Sacha Kunz, l’ancien président du PNOS, a commencé à mettre en place une structure d’une certaine importance dès 2004. “White Revolution” devait être un distributeur de disques et un label. Selon les déclarations faites sur le site Internet, White Revolution Records se voulait un label suisse dont l’objectif avoué était de “participer à la scène musicale suisse du courant nationaliste”. Le studio d’enregistrement Swastika Records actif dans la production professionnelle de musique était rattaché à ce label.
Sacha Kunz anime aussi le “Forum National suisse” par l’intermédiaire du site de White-Revolution, lequel a été très utilisé surtout durant l’été 2005, notamment pour inviter l’extrême droite à participer au rassemblement sur le Grütli. Dans le courant de l’automne, Kunz a rebaptisé sa maison de vente par correspondance du nom plus anodin d’Helvetia Versand. L’offre n’a pas changé et est restée accessible via Internet pendant quelque temps, jusqu’à ce que la police cantonale argovienne perquisitionne au domicile de Kunz dans le cadre d’une procédure pour violation de la norme antiraciste. La clientèle de la maison de vente par correspondance s’était étoffée, comme l’a signalé l’association Antifa Berne à la mi-août 2005, lorsqu’on lui a fait parvenir la base de donnée avec plus de 150 noms de clients.
Kunz est aussi membre du duo “Die Eidgenossen”, qui a notamment participé à la mi-juillet 2005 à Baden à une manifestation de l’association “Camarades de Baden” inconnue par ailleurs. Kunz et son acolyte ont chanté la chanson raciste “Afrikalied” du groupe allemand “Landser”, comme des participants au concert – dont Kunz lui-même – l’ont fait savoir dans des forums d’extrême droite. Le duo “Die Eidgenossen” a par ailleurs publié un CD comportant trois chansons racistes accompagnées d’accords de guitare dépourvus de fantaisie, dont l’hymne du Front national.
L’offre de la librairie par correspondance Neue Zeitenwende est diffusée sur Internet depuis novembre 2005. Selon ses dires, la firme propose des livres consacrés à divers thèmes, comme “l’histoire, la culture et les usages, la politique et d’autres sujets”. En réalité, elle diffuse des livres sur les sociétés secrètes, de la littérature à la gloire des SS ainsi que des publications d’auteurs d’extrême droite comme Jürgen Schwab ou Peter Dehoust.
L’adresse de la librairie en ligne est une case postale à Flumenthal (près de Soleure) et la page d’accueil est présentée par Adrian Segessenmann à Flumenthal. Le jeune Segessenmann âgé de 26 ans est actif sur la scène d’extrême droite depuis de nombreuses années. Il a notamment participé à l’agression Hammerskin lors d’un festival de musique anti-fasciste à Hochdorf (4.11.1995) et faisait partie des organisateurs de la conférence qui a débouché sur un changement de définition concernant le caractère “public” d’un fait.
Conclusion : en 2005, le nombre des protagonistes de la scène d’extrême droite – composée pour l’essentiel de skinheads nazis – n’a certes augmenté que faiblement. Le mouvement s’est néanmoins renforcé, car il dispose désormais d’un réseau régulier d’offres sous la forme de groupes de musique, de distributeurs par correspondance d’enregistrements et de livres, de portails d’information sur Internet ainsi que d’un parti pouvant s’appuyer sur des structures solides. Mais une action en justice est encore ouverte contre le PNOS pour violation de la norme pénale antiraciste. Le tribunal de première instance de l’arrondissement d’Aarau a établi que plusieurs points du programme du parti étaient clairement racistes.
Lucerne, mi-janvier 2006 Hans Stutz