L’extrémisme de droite en Suisse en 2005/3

Zürich, 31 Décembre 2005

Organisations politiques

Ces dernières années, les extrémistes de droite ont aussi tenté de constituer des partis politiques dans le but de participer aux élections. La plupart de ces projets ont généralement fait long feu, à l’instar du Parti national suisse (NPS) de David Mulas. Le Parti nationaliste suisse (PNOS) constitue la seule exception et s’est doté de structures solides entre-temps. Le bâlois Eric Weber, qui s’était porté candidat aux élections au Conseil national en 2003 et aux élections au Grand Conseil de Bâle-Ville en 2004 sur la liste des Démocrates suisses (DS) avec son “Action populaire contre un trop grand nombre d’étrangers et de requérants d’asile dans notre patrie”, n’a pas exercé d’activité politique en 2005. Lors des élections de 2004, Eric Weber avait été pincé alors qu’il tentait d’acheter des voix. Il peut se targuer d’une longue carrière dans les milieux d’extrême droite. En 1986, il a été élu au Grand Conseil sur la liste de l’Action nationale, où il s’est rapidement fait remarquer par son impertinence. Après son exclusion du Grand Conseil, il s’est installé pendant plusieurs années en Allemagne, où il a tenté de se lancer dans le journalisme. Il a déjà été jugé au début des années 90 pour falsification de documents.

A la fin décembre 2005, le Parti nationaliste suisse (PNOS) a annoncé qu’il présenterait deux candidats aux élections du Grand Conseil de Berne, à savoir Dominik Lüthard, musicien du groupe d’extrême droite “Indiziert” et Tobias Hirschi, qui est déjà municipal à Langenthal. Ce petit parti a remporté des succès électoraux au cours des vingt-quatre derniers mois : Tobias Hirschi a été élu au conseil communal de Langenthal en octobre 2004, toutefois avec un taux de participation très faible. En 2003, Ralph Aschwanden n’avait obtenu dans le canton d’Argovie que 0.13 % des voix aux élections du Conseil national.

Le PNOS tient aussi une boutique en ligne, dont l’adresse est une case postale à Interlaken. L’offre de produits est cependant restreinte et englobe un drapeau et un insigne du PNOS, les anciens numéros encore disponibles de la revue du parti intitulée “Zeitgeist” (L’esprit du temps), ainsi que huit livres, dont celui de Luzi Stamm, conseiller national de l’UDC, une brochure du révisionniste romand Philipp Brennenstuhl et le “Guillaume Tell” de Friedrich Schiller. A la fin 2005, le parti distribuait aussi l’”Agenda 2006 de la résistance nationale”, qui contient notamment des portraits de représentants du Troisième Reich.

Le PNOS a été constitué à Liestal au début de septembre 2000. Son premier président était Sacha Kunz, ancien membre de l’organisation skinhead raciste Blood and Honour ; Jonas Gysin en assurait alors la vice-présidence. Le premier programme du parti prônait notamment l’exclusion des étrangers du système des assurances sociales et le versement d’allocations familiales aux familles suisses exclusivement. Un programme en vingt points publié ultérieurement contient aussi des allusions directes au programme de l’ancienne NSDAP, par exemple concernant la question de la qualité de citoyen : selon les revendications du PNOS, seules les personnes “qui font partie du peuple ou qui en sont si proches de par leur origine et leur culture que leur intégration ne pose pas de problème” peuvent être considérées comme des citoyens. Le PNOS veut une “Europe européenne” et “le renvoi rapide des étrangers d’une autre culture dans leur pays d’origine”. Le parti réclame également l’abrogation de la norme pénale antiraciste, notamment au profit des négationnistes de l’holocauste. Il se propose en outre d’abolir “l’économie partisane” et de nationaliser les médias et le soutien aux familles exclusivement au profit “des indigènes”, c’est-à-dire des citoyens suisses. Au printemps 2005, l’Office d’instruction pénale d’Aarau a condamné l’ancien président du PNOS Jonas Gysin ainsi que trois autres membres de la direction du parti à payer des amendes pour discrimination raciale, dans la mesure où le programme du PNOS constitue “une insulte collective aux étrangers”. Les condamnés ont fait appel en première instance. Jonas Gysin a démissionné un mois plus tard ; depuis lors, le parti est dirigé entre autres par Denise Friederich, Andrè Gauch, Michael Haldimann et Adrian Spring.

A la fin 2005, le PNOS avait des sections dans les cantons d’Argovie, Berne, Fribourg et Soleure ainsi qu’une antenne à Langenthal. Denise Friedrich, la responsable des relations du PNOS avec les médias a affirmé dans une interview que le parti comptait plusieurs centaines de membres. Ces indications ne sont pas vérifiables. Il n’est pas non plus possible de prédire avec certitude à quel rythme le PNOS pourrait créer de nouvelles sections cantonales. A la fin 2005, Stephan Wüthrich, le représentant du PNOS à Langenthal a expliqué dans le cadre d’une interview pour un forum d’extrême droite que “le parti dispose d’un réservoir de membres potentiels en Suisse centrale et à Zurich et que l’établissement de nouvelles sections n’est qu’une question de temps. Mais nous accorderons la priorité aux élections au Grand Conseil ces prochains temps, car elles revêtent davantage d’importance.”

Conclusion : en l’espace de cinq ans, le PNOS est parvenu à mettre sur pied des structures stables en dépit de changements fréquents à la tête du parti. En outre, il est désormais en mesure de présenter des candidats aux élections locales et cantonales. Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, un parti d’extrême droite est ainsi parvenu à participer continuellement pendant un certain temps à la politique institutionnalisée. Son objectif avoué est un “socialisme fédéral” non expansionniste, mais présentant de nombreuses similitudes avec le national-socialisme et le fascisme italien du point de vue économique et social.

Des cadres d’extrême droite à l’armée

Le 1er août, Samuel Schmid, président de la Confédération et chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et du sport (DDPS) a quitté la prairie du Grütli visiblement irrité. Peu après, le DDPS a fait savoir qu’il recherchait les extrémistes de droite dans ses rangs et infligerait éventuellement des sanctions : “Les personnes qui affichent des convictions d’extrême droit n’ont pas leur place dans l’armée”. Le service de lutte contre l’extrémisme dans l’armée a notamment été chargé de procéder à des vérifications concernant l’obligation de servir, l’incorporation et le grade militaire d’extrémistes de droite notoires. Il s’agissait déterminer si des extrémistes de droite sont astreints au service militaire, si l’on compte des cadres parmi eux et s’il en résulte un risque pour la sécurité. “L’armée veut éviter que des personnes défendant de telles opinions obtiennent de l’avancement, occupent une position de cadre et puissent ainsi propager leurs convictions”, a précisé M. Sievert. Des mesures adéquates seront prises si le service identifie des personnes qui constituent un risque pour la sécurité. Ces dernières seront mutées dans un domaine non sensible ou exclues de l’armée.

Les mesures annoncées n’ont pas été concrétisées, mais démenties : au début du mois de décembre, le chef du DDPS Samuel Schmid a expliqué qu’il n’était pas possible, à défaut de bases légales et d’une définition claire des critères de jugement, d’exclure une personne du service militaire en raison de ses activités extrémistes dans le civil. L’intervention du conseiller national socialiste lucernois Hans Widmer était motivée par divers articles de presse, selon lesquels des extrémistes de droite auraient fait carrière dans l’armée en qualité de sous-officier ou d’officier. Parmi eux se trouvaient des personnes qui avaient été jugées pour avoir agressé des personnes appartenant à des minorités.

Mais l’armée suisse est aussi multiforme. Les hommes et les femmes qui accomplissent leur service militaire se distinguent au niveau de leurs croyances religieuses, leur couleur de peau et leur orientation sexuelle. Chacun d’eux doit avoir la certitude qu’il ne sera pas harcelé, brimé ou discriminé pour des motifs religieux, raciaux ou sexuels. Ce droit n’est pas garanti avec des sous-officiers et des officiers se réclamant de l’extrême droite.

Tel n’est visiblement pas encore le cas. A la mi-août 2005, deux sous-officiers et deux recrues de l’école de recrues d’Isone ont proféré, lors d’une marche, des propos comme “tous les juifs et les nègres devraient être exterminés.” Les quatre militaires se sont également fait remarquer pour avoir fait usage du salut hitlérien. Onze recrues se sont plaintes au commandant de l’école, qui a immédiatement renvoyé ces quatre militaires et ordonné une enquête. Fort bien ! Mais le juge d’instruction militaire a estimé que ces déclarations ne constituaient pas une violation de la norme pénale antiraciste, dans la mesure où elles avaient été faites dans le cadre privé d’une compagnie. Marcel Alexander Niggli, l’auteur du commentaire juridique relatif à la norme considère cette décision comme totalement „erronée”. Le commandant de l’école responsable n’a cependant pas donné suite à la proposition du juge d’instruction et ordonné une enquête. Il n’en reste pas moins que ce jugement est révélateur de l’attitude de l’armée à l’égard des extrémistes de droite.

Opposition nationale extraparlementaire (Napo)

En 2005, l’Opposition nationale extraparlementaire (Napo) n’a fait parler d’elle qu’à deux reprises, lors d’une manifestation organisée à Schaffhouse et une autre à Aarau. Le soir du samedi 12 mars 2005, environ 150 extrémistes de droite ont défilé dans les rues désertes de Schaffhouse, d’abord sans vraiment attirer l’attention du public. Bernhard Schaub, l’instigateur de la NAPO, a fait un discours et les participants ont distribué des tracts aux rares passants. Selon ce document, la Suisse ne serait pas gouvernée par le peuple, mais – comme tous les pays occidentaux – “par un groupuscule de la mafia internationale” et que “ces criminels internationaux de l’argent apatride ont mené deux guerres mondiales contre l’Allemagne avant d’ériger leur domination planétaire sur les ruines de l’Europe”. Ils seraient aussi bien les “maîtres du capitalisme” que du communisme et représenteraient “le véritable impérialisme étranger”.

Le 30 avril, une cinquantaine d’extrémistes de droite ont répondu à l’appel de la Napo – adressé uniquement aux membres de l’organisation – et participé à une manifestation surprise à l’occasion de la fête du travail. Bernhard Schaub a tenu un discours violemment antisémite. La police cantonale argovienne n’a pas coupé court à ces propos incendiaires, mais a ouvert après coup une procédure pénale pour violation de la norme antiraciste.

L’Opposition nationale extraparlementaire (NAPO) a fait parler d’elle pour la première fois en 2003. Selon son “programme d’action”, l’objectif de la NAPO est “de perturber le pouvoir des médias dans notre système politique et de préparer un changement de pouvoir en Suisse dans l’esprit d’un état populaire”. Cela implique notamment l’expulsion des résidents de provenance non européenne, car la NAPO considère les “personnes d’une autre culture et d’une autre race qui vivent dans notre pays et en Europe comme des occupants civils”. Le programme précise que “la NAPO se mobilise pour le rapatriement des personnes d’autres races et d’autres cultures”. Parmi ses “visions”, le parti évoque des familles nombreuses de race blanche. Il s’agit donc clairement d’un texte raciste. En 2003 et en 2004, d’autres tracts ont été distribués dans divers endroits en Suisse alémanique, où ils n’ont guère suscité d’attention.

Négation de l’Holocauste

Les révisionnistes nient trois faits historiques patents : premièrement, qu’un plan destiné à éliminer les Juifs d’Europe ait été élaboré, deuxièmement que des chambres à gaz aient été construites pour éliminer les victimes et, troisièmement, que la persécution des Juifs par les nazis s’est soldée par la mort de près de six millions d’entre eux. En 2005, l’Internationale négationniste a visiblement perdu terrain. Si divers de ses représentants, comme le Français Robert Faurisson, se plaignent depuis plusieurs années de la crise qui frappe la scène révisionniste , une grande partie de son infrastructure n’a cependant été paralysée qu’à la fin de l’automne 2005. Avec l’arrestation et l’extradition de Germar Rudolf, le plus grand éditeur bilingue est devenu inactif, tout comme le principal magazine révisionniste disponible en langues allemande et en anglaise ainsi que le site Internet le mieux documenté. Même si des déclarations de politiciens iraniens sont volontiers citées, par exemple celles du président Mahmoud Ahmadinejad récemment élu, elles ne constituent pas une preuve d’une collaboration plus étroite entre les négationnistes et les islamistes.

La première apparition publique des révisionnistes suisses remonte au début des années 90. Lors de la campagne référendaire en relation avec l’introduction de la norme pénale antiraciste, les quatre principaux représentants du mouvement Jürgen Graf, Arthur Vogt, Andres J. Studer et Bernhard Schaub se sont d’abord organisés dans le cadre de la Communauté de travail pour lever le tabou de l’histoire contemporaine (Arbeitsgemeinschaft zur Enttabuisierung der Zeitgeschichte – AEZ), rebaptisée ultérieurement Communauté de travail pour les recherches sur l’histoire contemporaine (Arbeitsgemeinschaft zur Erforschung der Zeitgeschichte – AEZ). L’AEZ a réduit ses activités à partir du milieu des années 90, sur quoi les révisionnistes suisses alémaniques se sont alliés avec leurs collègues suisses romands au sein de l’association Vérité & Justice.

L’édition de décembre 2005 de la publication „Courrier du continent” de Gaston Armand Amaudruz contenait une communication de l’association „Vérité et Justice”, selon laquelle son secrétaire général René-Louis Berclaz était sorti de prison après 344 jours de détention. René-Louis Berclaz réfute la norme pénale antiraciste et donc aussi son obligation de contrôler les informations – inspirées selon lui du “Protocoles des sages de Sion”.

Le fait est que l’association „Vérité et Justice” (dissoute en mars 2002 par le tribunal du district de la Veveyse à Châtel-Saint-Denis) n’a, pour la première fois en 2005, pas exercé d’activités dignes d’être mentionnées. A la fin 2005 “Vérité et Justice” n’avait d’ailleurs plus de site Internet. Jürgen Graf, l’ancien président de l’association, n’est plus actif en Suisse. Il s’est exilé afin d’échapper à une peine de prison de quinze mois et vit aujourd’hui en Russie. L’automne dernier, un comité de soutien a cependant annoncé la publication, au printemps 2006, d’un livre contenant des articles déjà parus et des textes inédits et fait une demande des dons dans ce sens.

Le dernier projet de Bernhard Schaub semble également motivé par des considérations politiques. Il a ouvert un centre de “gymnastique nordique” à Dornach, au siège du mouvement anthroposophique. Cette gymnastique est qualifiée de nordique parce qu’elle correspond aux “mouvements corporels des populations d’Europe centrale et des pays nordiques”. Elle se fonde sur les méthodes développées par Graf Fritz von Bothmer et Hinrich Melau. Graf F. von Bothmer était un anthroposophe et Hinrich Melau est le fondateur d’une “gymnastique allemande” qui était très populaire auprès de l’association des jeunes filles allemandes sous le Troisième Reich.

Bernhard Schaub

En Suisse, les apparitions publiques de Bernhard Schaub sont restées rares en 2005 et l’Opposition nationale extraparlementaire (Napo) dont il est le fondateur n’a fait parler d’elle qu’à deux reprises. C’est lui qui a pris la parole aussi bien à Schaffhouse qu’à Aarau. Contrairement aux années précédentes, il n’a pas usé du mégaphone lors du rassemblement d’extrême droite du 1er août à Brunnen, bien qu’il était présent sur le site selon des témoins. Mais Schaub a été actif en Allemagne. Il a fait plusieurs apparitions publiques en compagnie du révisionniste Horst Mahler, par exemple à la fin février 2005 au “Collegium Humanum” à Vlotho dans le nord de l’Allemagne, où les deux acolytes ont présenté un exposé intitulé “L’Allemagne, le Reich de la liberté” ou “L’avenir de la démocratie est sa disparition”, visiblement dans le but de mettre sur pied un mouvement du Reich. Schaub et Mahler étaient également présents à Vlotho en novembre, à l’occasion d’une réunion de l’”Union pour la Réhabilitation des Persécutés de la Négation de l’Holocauste”, dont Schaub assure la présidence depuis la création du mouvement en 2003. Quelques jours auparavant, il avait assisté à l’ouverture du procès contre le révisionniste Ernst Zündel à Mannheim. A la fin octobre 2005, Schaub a animé avec Horst Mahler dans la ville thuringeoise de Mosbach bei Eisenach un séminaire du “Mouvement du Reich”, dont l’objectif d’apprentissage – selon un participant – était de faire évoluer le “réflexe de distanciation” habituel que l’on rencontre dans des milieux nationaux lorsqu’on mentionne le nom d’Adolf Hitler”. A cette occasion, Bernhard Schaub a parlé de “l’esprit du peuple” et rappelé qu’Hölderlin avait évoqué avec passion “le génie allemand, l’esprit du peuple allemand”, qui “s’est cristallisé cent vingt ans plus tard dans Adolf Hitler”.

Depuis son nouveau domicile de Dornach, Berhard Schaub – actuellement l’unique extrémiste de droite suisse dont le rayonnement dépasse les frontières du pays – continue d’éditer son bulletin “WotansWort”, même si le lien avec le site Internet du Napo n’est plus actif depuis un certain temps. En 2005, Schaub a réédité “dans le cadre d’une impression privée pour un cercle d’amis” un nombre limité d’exemplaires du livre “Gold in the furnace” (L’or des fours crématoires. Un hommage à l’Allemagne”, une apologie d’Hitler sous la plume de Savitri Devi Mukherji. Cette représentante d’un ésotérisme hitlérien écrit que les chambres à gaz n’ont jamais existé sous le Troisième Reich et qualifie les déclarations des survivants des camps de concentration comme des “mensonges juifs”.

Les extrémistes de droite suisse sur Internet

En Suisse, la scène d’extrême droite ne dispose que de rares moyens de communication, en particulier de médias imprimés. Depuis quelques années, elle est capable de maintenir sur Internet des “portails d’information” qui commentent plus ou moins régulièrement les événements actuels et diffusent parfois des communiqués de presse d’organisations d’extrême droite. Reste à savoir si ces portails sont utilisés en dehors de cercles restreints.

Mis à part ces portails, divers “forums de discussion” existent depuis quelques années et permettent aux personnes intéressées d’échanger leur point de vue, généralement après inscription préalable. A la fin 2005, les plates-formes de discussion suivantes étaient notamment actives : le “Forum national suisse” sur le site du revendeur de disques White Revolution, le “Forum Hammerskin”, ainsi que le forum de “Blood and Honour Suisse”, qui est essentiellement utilisé par des Suisses romands.

Freie Stimme / Altermedia Schweiz

A la mi-septembre 2005, le portail d’information “Freie Stimme”(Voix libre) a fait savoir qu’il cessait la plupart de ses activités, car la politique – “ou du moins le jeu montré au citoyen démocratique lambda” – se déroule souvent selon un scénario immuable, si bien qu’une perte de motivation est inévitable à terme. Deux mois plus tard, une autre communication a éclairé cette affirmation sous un autre jour: “Il y a une semaine, une perquisition a été conduite par trois agents de police au domicile privé de la rédaction de “Freie Stimme” ; deux ordinateurs et plusieurs supports de données ont été saisis. Une perquisition a eu lieu au même moment au domicile d’une autre personne que la police soupçonne de collaborer avec Freie Stimme/Altermedia Schweiz.”

La procédure pénale a été ouverte après la publication, à la fin mai, d’un communiqué de “Freie Stimme” au sujet de l’inauguration du mémorial de la Shoa à Berlin, dont les auteurs proposaient “que les personnes responsables de l’édification de ce mémorial réduisent un jour la taille des 2711 stèles de béton avec un marteau de façon qu’il n’en reste que de la poussière. La poussière de la plus grande humiliation de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe.” Ce communiqué a poussé un particulier à porter plainte pour violation de la norme pénale antiraciste.

Depuis la mi-2002, “Freie Stimme” publie régulièrement des commentaires sur l’actualité dans une perspective pronazie et raciste, parfois avec des connotations antisémites, parfois avec des insinuations qui laissent transparaître une certaine sympathie pour les négationnistes de l’holocauste. Alors que “Freie Stimme” commente généralement les activités du camp nationaliste conservateur sur un ton bienveillant, le conseiller fédéral Christoph Blocher a au contraire été critiqué au sujet de sa politique de migration : tout comme son parti l’UDC, il a été accusé de jouer un “double jeu”, car il aurait “répété à maintes reprises que la Suisse avait besoin des étrangers et que son économie était tributaire de l’immigration”. En d’autres termes, “Freie Stimme” estime que la politique des étrangers de Blocher et de l’UDC manque de cohérence.

Le site d’information Altermedia est toujours actif en Suisse romande. Ce portail international diffuse des informations du monde entier aux personnes de lignée européenne (World Wide News for People of European Descent). Il se targue d’être la voix de ceux qui refusent de sacrifier leur liberté d’opinion sur l’autel du politiquement correct, c’est-à-dire de toutes les mouvances nationalistes et d’extrême droite. Le site d’information interactif en langue française publie surtout les communiqués de partis comme l’UDC ou le PNOS ou de leurs représentants. En 2005, l’offre s’est cependant limitée à la diffusion de communiqués ou de textes publiés sous une autre forme. Nul ne sait qui exploite ce site suisse romand.

Altermedia Suisse et Novopress Suisse

Mis à part Altermedia Suisse, il existe un deuxième portail d’information suisse romand, à savoir Novopress Suisse, qui est également au service du combat identitaire. Les commentaires hebdomadaires signés “Saint Martin” sont particulièrement virulents. Novopress Suisse est proche de la mouvance des Identitaires et diffuse aussi les messages des Identitaires de Romandie.

Dans toutes les subcultures de jeunes, la musique joue un rôle d’identification et de valorisation, d’une part en tant que vecteur d’une certaine joie de vivre et, d’autre part, en tant que moyen de diffusion de messages politiques. Les concerts servent à cimenter le groupe et à diffuser des messages politiques, surtout lorsqu’ils sont organisés par des skinheads néonazis, car on y trouve généralement des stands qui proposent aussi bien des enregistrements que des livres/brochures ainsi que d’autres articles typiques du mouvement. Jusqu’à la publication de l’arrêt du Tribunal fédéral concernant la norme pénale antiraciste et la notion d’événement “public”, la police et le juge d’instruction considéraient les concerts skinheads néonazis comme des manifestations privées, même s’ils réunissaient plus de mille personnes et si l’annonce du concert était accessible aux journalistes.

Ces dernières années, plusieurs groupes suisses d’extrême droite se sont fait connaître du grand public ; le groupe bâlois Sturmtruppen Skinhead existe depuis plus d’une décennie, alors que le groupe de Suisse orientale “Erbarmungslos” de la mouvance Hammerskin a été créé un peu plus tard. Les membres du groupe lucernois “Dissens” se réclament également du mouvement Hammerskin. En 2005, les groupes zurichois et valaisan “Amok” et “Helvetica” ont donné des concerts, mais n’ont pas encore publié d’enregistrements, contrairement au groupe de rock patriotique “Indiziert”, le plus connu dans notre pays.

Un concert et ses conséquences

Au début, tout était sous contrôle. Quelques centaines de nazis se sont rassemblés à l’occasion d’un concert à la mémoire de Jan Stuart, le fondateur décédé de Blood and Honour. La police cantonale valaisanne a affirmé avoir conscience de sa responsabilité, même si le concert était illégal faute d’avoir été annoncé. Elle a contrôlé l’identité d’une soixantaine de personnes, sans rien constater d’illicite. Le calme régnait sur le site de la manifestation et les échos du concert n’étaient pas audibles à l’extérieur.

Dix jours plus tard, le magazine d’information “Rundschau” de la Télévision suisse alémanique DRS a diffusé un film tourné avec une caméra cachée qui prouvait de manière éclatante le caractère raciste de cette manifestation. Le groupe néonazi zurichois “Amok” a chanté des textes comme : “Aiguisez les longs couteaux sur le bitume, plantez-les dans le corps des Juifs. Le sang doit couler à flots et nous déféquons sur cette république juive.” Le film a également révélé que des enregistrements et des livres du même acabit étaient en vente sur plusieurs stands. La police cantonale valaisanne a alors ouvert une procédure pénale, notamment pour violation de la norme anti-raciste.

Conclusion : L’émission “Rundschau” a montré que les actes racistes étaient perpétrés à l’intérieur de la salle lors de concerts skinheads néonazis. Etant donné le caractère public de ces manifestations, la police devra donc interdire les réunions de ce genre à l’avenir ou les surveiller depuis l’intérieur.

En 2005, les quatre musiciens du groupe de rock bernois d’extrême droite “Indiziert” ont participé à une manifestation électorale du NPD à Bayern ainsi qu’à un concert de la section autrichienne de Blood and Honour. Sur son site Internet, la formation propose un compte-rendu de six concerts et annonce qu’elle enregistrera un nouveau CD à la fin 2005. Mais les problèmes rencontrés par le premier enregistrement “Eidgenössischer Widerstand” (résistance helvétique) sont loin d’être surmontés. Le message est clairement d’inspiration raciste, même s’il est transmis sous la forme de couplets boiteux : “Nous devons nous battre sans relâche pour une Suisse pure et blanche afin de devenir une entité forte, faute de quoi notre peuple risque de disparaître. Le temps est venu de chasser les étrangers.” En Allemagne, l’office fédéral de contrôle des médias dangereux pour la jeunesse a condamné l’enregistrement d’Indiziert, car les textes de certaines chansons “pourraient inciter au racisme”.

Indiziert 

Le groupe de rock Indiziert se compose des frères Alex et Cedric Rohrbach, de Dominic Lüthard et de Benjamin Lingg. A la fin 2005, Dominic Lüthard a annoncé qu’il se portait candidat au Grand Conseil du canton de Berne sur la liste du PNOS. L’enregistrement “Eidgenössischer Widerstand” a été produit et distribué par Ulfhednirs Records, dont l’adresse postale est à Niederhasli (ZH). Ce label de disques distribue essentiellement des disques de heavy-metal NS. Le nom des propriétaires de la firme n’est pas connu à ce jour.

Le 11 juin 2005, plusieurs centaines d’extrémistes de droite se sont réunis à Ennenda, dans le canton de Glaris. La manifestation a dégénéré en bagarre générale, laquelle n’a pris fin qu’après l’intervention de la police. Selon les commentaires publiés par l’intermédiaire de divers forums d’extrême droite, les Hammerskinheads se sont pris de bec avec les skins de la mouvance Blood and Honour. Le concert avait été annoncé comme un „événement helvétique” et a été organisé par la société Ufhednirs Records domiciliée à Niederhasli dans le canton de Zurich. Il s’agit de l’unique concert d’une certaine importance mis sur pied en Suisse en 2005 par cette partie de la scène heavy metal qui affiche ouvertement sa sympathie pour le national-socialisme.

Dark Wave et Black metal NS – deux subcultures proches des courants d’extrême droite

Des courants néo-fascistes ont également été observés sur une petite partie de la scène Dark Wave/Neo-folk. Des concerts de ce genre sont organisés en Suisse, surtout en Romandie. Le Viennois Gerhard Petak (alias Kadmon) s’est par exemple produit à Yverdon à la fin octobre 2005. Gerhard Petak compte depuis des années parmi les représentants les plus connus de la scène néo-folk d’inspiration néo-fasciste. La soirée a été organisée par l’association “Soleil Noir” présidée par le lausannois Lars Kophal. L’idéologie ambivalente de Soleil Noir transparaît dans le portrait de l’association, qui affirme d’emblée être “apolitique” avant d’ajouter “nous vomissons la modernité sans racines, le matérialisme sans âme, l’ultralibéralisme destructeur, l’exploitation des travailleurs par le grand actionnariat international, la globalisation-standardisation planétaire, la grande soupe fade du multiculturalisme, l’américanisation comme la tiers-mondisation. Accessoirement, nous sommes suisses et européens et n’en ressentons ni honte ni culpabilité”. Cette approche culturelle pessimiste et centrée sur l’Europe est justifiée politiquement par des citations élogieuses de l’idéologiste fasciste Julius Evola. Une grande partie de la scène Dark Wave/Neo-folk ne se montre pas critique à l’égard de cette minorité d’inspiration néo-fasciste, et des journalistes peu critiques partagent parfois cette opinion.

Trois organisations – dont Soleil Noir – ont annoncé qu’elles organiseraient un festival de deux jours à Yverdon durant le week-end de Pâques 2006.

Vente de livres et de musique par correspondance

Jusqu’à ces dernières années, les extrémistes de droite suisses n’avaient pas d’autre choix que d’acheter des livres et des enregistrements à l’étranger. Même si une grande partie du matériel provient encore de l’étranger à l’heure actuelle (surtout de l’Allemagne), un distributeur était actif n Suisse jusqu’à l’automne 2005.

Sacha Kunz, l’ancien président du PNOS, a commencé à mettre en place une structure d’une certaine importance dès 2004. “White Revolution” devait être un distributeur de disques et un label. Selon les déclarations faites sur le site Internet, White Revolution Records se voulait un label suisse dont l’objectif avoué était de “participer à la scène musicale suisse du courant nationaliste”. Le studio d’enregistrement Swastika Records actif dans la production professionnelle de musique était rattaché à ce label.

Sacha Kunz anime aussi le “Forum National suisse” par l’intermédiaire du site de White-Revolution, lequel a été très utilisé surtout durant l’été 2005, notamment pour inviter l’extrême droite à participer au rassemblement sur le Grütli. Dans le courant de l’automne, Kunz a rebaptisé sa maison de vente par correspondance du nom plus anodin d’Helvetia Versand. L’offre n’a pas changé et est restée accessible via Internet pendant quelque temps, jusqu’à ce que la police cantonale argovienne perquisitionne au domicile de Kunz dans le cadre d’une procédure pour violation de la norme antiraciste. La clientèle de la maison de vente par correspondance s’était étoffée, comme l’a signalé l’association Antifa Berne à la mi-août 2005, lorsqu’on lui a fait parvenir la base de donnée avec plus de 150 noms de clients.

Kunz est aussi membre du duo “Die Eidgenossen”, qui a notamment participé à la mi-juillet 2005 à Baden à une manifestation de l’association “Camarades de Baden” inconnue par ailleurs. Kunz et son acolyte ont chanté la chanson raciste “Afrikalied” du groupe allemand “Landser”, comme des participants au concert – dont Kunz lui-même – l’ont fait savoir dans des forums d’extrême droite. Le duo “Die Eidgenossen” a par ailleurs publié un CD comportant trois chansons racistes accompagnées d’accords de guitare dépourvus de fantaisie, dont l’hymne du Front national.

L’offre de la librairie par correspondance Neue Zeitenwende est diffusée sur Internet depuis novembre 2005. Selon ses dires, la firme propose des livres consacrés à divers thèmes, comme “l’histoire, la culture et les usages, la politique et d’autres sujets”. En réalité, elle diffuse des livres sur les sociétés secrètes, de la littérature à la gloire des SS ainsi que des publications d’auteurs d’extrême droite comme Jürgen Schwab ou Peter Dehoust.

L’adresse de la librairie en ligne est une case postale à Flumenthal (près de Soleure) et la page d’accueil est présentée par Adrian Segessenmann à Flumenthal. Le jeune Segessenmann âgé de 26 ans est actif sur la scène d’extrême droite depuis de nombreuses années. Il a notamment participé à l’agression Hammerskin lors d’un festival de musique anti-fasciste à Hochdorf (4.11.1995) et faisait partie des organisateurs de la conférence qui a débouché sur un changement de définition concernant le caractère “public” d’un fait.

Conclusion : en 2005, le nombre des protagonistes de la scène d’extrême droite – composée pour l’essentiel de skinheads nazis – n’a certes augmenté que faiblement. Le mouvement s’est néanmoins renforcé, car il dispose désormais d’un réseau régulier d’offres sous la forme de groupes de musique, de distributeurs par correspondance d’enregistrements et de livres, de portails d’information sur Internet ainsi que d’un parti pouvant s’appuyer sur des structures solides. Mais une action en justice est encore ouverte contre le PNOS pour violation de la norme pénale antiraciste. Le tribunal de première instance de l’arrondissement d’Aarau a établi que plusieurs points du programme du parti étaient clairement racistes.

Lucerne, mi-janvier 2006 Hans Stutz