Commentaire 2018: Le racisme en Suisse

Zürich, 01 Février 2018

Chronologie des incidents racistes

La chronologie des incidents racistes que la GRA publie en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) a répertorié un total de 46 incidents relayés par les médias suisses en 2018.

Ces incidents englobent pour l’essentiel de cas de racisme verbal dans le domaine public et des manifestations xénophobes, dont des discours haineux de politiques sur leurs profils sur les réseaux sociaux. Ces messages incitent à la haine envers les étrangers, les Noirs, les musulmans, les Juifs et les homosexuels. Mais les médias suisses ont également relayé en 2018 quelques incidents avec insultes racistes en marge de matchs de football, des insultes proférées à l’encontre de personnes à l’apparence étrangère dans la rue ou dans des commerces ainsi que des insultes antisémites dans la rue et sur Internet. On a aussi observé la présence à deux reprises de slogans xénophobes dans des cortèges de carnaval, mais aussi des rencontres et manifestations d’extrême-droite ainsi qu’un cas de minimisation publique de l’holocauste par un politique. Les médias ont également rapporté à plusieurs reprises la présence d’inscriptions xénophobes.

Focus sur le racisme ordinaire du point de vue des victimes

L’observation des médias par la GRA reflète l’ambiance générale en Suisse et permet de comparer le nombre d’incidents par rapport aux années précédentes, mais elle n’a en aucun cas la prétention d’être exhaustive sur le plan statistique. En effet, le nombre d’incidents racistes non signalés reste élevé en 2018.

Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont encore plus rares. Plus les lieux d’accueil (publics et privés) se font connaître auprès du grand public, plus le nombre d’incidents signalés est élevé. Et les chiffres ne peuvent pas exprimer tous les incidents, aussi et surtout parce que la Suisse ne tient aucune statistique officielle concernant le racisme et la discrimination raciale.

Outre les incidents relayés par les médias, de nombreux cas ont été signalés presque quotidiennement à la GRA, que ce soit via le site Internet de la GRA, par e-mail ou par téléphone. Nombre de ces incidents concernaient les discours haineux (sites Internet à contenu raciste, racisme dans des conversations Whatsapp ou sur des profils sur des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram ou Twitter) mais aussi le racisme ordinaire (insultes ou discrimination lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement, ou encore, comme signalé dans un cas, lors de l’ouverture d’un compte en banque). La GRA a lancé une campagne en ligne au printemps 2018 pour sensibiliser à la thématique importante qu’est le racisme ordinaire (https://gra.ch/fr/auslaendler/). Le clip intitulé «Der Ausländler» a remporté le prix suisse récompensant les productions de commande et films publicitaires Edi.18, qui est décerné chaque année par la Swissfilm Association.

Dans son rapport sur le racisme, la ville de Zurich écrit à propos de la discrimination raciale et du racisme ordinaire, entre autres, à quel point il est important de prendre au sérieux les expériences de discrimination personnelles des minorités. Au quotidien, les membres de minorités subissent souvent un racisme insidieux, que les personnes extérieures ou non concernées ont du mal à comprendre. «L’importance de considérer le point de vue des personnes concernées se manifeste par exemple en matière de racisme ordinaire. Les personnes ne subissant pas de discrimination n’arrivent souvent pas à comprendre les effets du racisme ordinaire. Ainsi, le racisme ordinaire est souvent minimisé», écrit la ville de Zurich dans son rapport. Et de poursuivre: «Les personnes qui abordent le racisme ordinaire et insidieux expliquent qu’on les considère comme «trop sensibles»ou «fragiles». C’est pourquoi il est difficile de parler de racisme ordinaire dans des situations concrètes.»

Des incidents racistes non relayés par les médias sont également publiés chaque année dans un rapport sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil par le «Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme», qui est coordonné par humanrights.ch/MERS et la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Ces rapports évaluent les cas saisis dans une base de données commune de manière anonyme par les centres de conseil affiliés. Par ailleurs, la CFR publie au début de l’été un rapport annuel relatant les décisions et les jugements rendus sur le plan national et international en matière de discrimination raciale dans différents domaines de l’existence (www.ekr.admin.ch).

Xénophobie et extrémisme

Une étude menée par deux enseignants de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et la Haute école pour le travail social de Fribourg montre également que la xénophobie insidieuse au quotidien et le rejet de l’«étranger» sont toujours présents dans de nombreuses têtes. Dans le cadre de l’étude, 8000 jeunes issus de dix cantons ont été interrogés en 2017: il en ressort que six pour cent des jeunes suisses sont d’extrême droite et sept pour cent d’extrême gauche. Seuls trois pour cent des jeunes musulmans interrogés étaient des extrémistes islamistes. Comme l’explique le professeur Dirk Baier de l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la ZHAW, coauteur de l’étude, il en ressort qu’il ne faut en aucun cas relâcher les efforts en matière de prévention, même en période de recul du nombre d’actes de violence. En 2017, la Suisse a certes lancé le Plan d’action national, qui montre que la prévention est importante pour elle, mais, selon Dirk Baier, ce plan se focalise encore trop sur l’extrémisme islamiste. «Le monde politique doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention», explique Dirk Baier. Il ressort également de l’étude que la majorité des jeunes Suisses ne s’identifient pas à des positions extrémistes et adhèrent plutôt aux valeurs démocratiques. Selon Dirk Baier, cela signifie aussi que les écoles jouent un rôle important dans la prévention et l’éducation, et que l’éducation à la démocratie est mise en œuvre correctement.

(La GRA a interrogé Dirk Baier à la suite de la publication de l’étude. Retrouvez l’entretien complet ici)

La GRA a aussi reconnu que les écoles constituent un acteur important dans la sensibilisation et la prévention du racisme. Elle les soutient et développe continuellement des outils d’apprentissage relatifs aux thématiques du racisme et de l’antisémitisme, ainsi qu’à l’holocauste, pour les écoles et instituts de formation (pour en savoir plus: www.gra.ch/fr/education/education-et-formation).

En outre, la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET), organisation partenaire de GRA qui s’engage entre autres pour la promotion de la tolérance auprès des enfants en âge préscolaire, a été relancée en octobre 2018.

 

Antisémitisme

La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), qui recense les incidents antisémites, a répertorié 42 incidents antisémites en 2018. Ceci n’inclut pas les incidents sur Internet, qui sont analysés séparément. Ce chiffre n’englobe donc que les incidents en dehors d’Internet signalés à la FSCI ou évoqués dans les médias. En 2018, les faits les plus graves ont été une attaque au couteau contre un groupe de Juifs orthodoxes à Zurich, plusieurs insultes envers des Juifs dans la rue ainsi que le discours ouvertement antisémite de Tobias Steiger lors de la manifestation du PNOS à Bâle. Retrouvez le rapport complet de la FSCI sur l’antisémitisme sur le site www.antisemitisme.ch.

En 2018, la GRA a aussi dû davantage s’occuper d’incidents antisémites qui lui avaient été signalés. Il était surtout question de conseils pour des enseignants et d’incidents sur des terrains de sport et dans des écoles, notamment dans des lycées. Le problème du racisme existe dans les écoles du degré secondaire supérieur autant que dans les collèges et écoles professionnelles. La GRA se présente comme un interlocuteur pour les directions des écoles ainsi que les personnes concernées et peut jouer un rôle de médiateur dans les conflits et aider à trouver des solutions. Comme le montrent également les rapports annuels de la CFR sur les incidents racistes recensés par les centres de conseil, l’école est, après le lieu de travail, l’endroit le plus concerné par les incidents racistes. Ce sont surtout les jeunes Juifs qui en sont victimes, mais aussi les musulmans et les élèves noirs. Le point de départ est souvent des insultes dans des discussions Whatsapp ou sur les réseaux sociaux (www.gra.ch/fr/education/comportement-face-au-racisme-et-a-lantisemitisme-a-lecole), qui créent une dynamique difficile à arrêter. Pour cette raison, les écoles ont désormais davantage besoin de projets de prévention et de tolérance, c’est pourquoi la GRA a aussi, comme mentionné plus haut, relancé la Fondation pour l’éducation et la tolérance (SET) l’année dernière. Elle doit justement répondre à ce besoin.

Extrême droite

Le rapport de situation du Service de renseignement de la Confédération souligne que la thématique des réfugiés et de la migration a continué de perdre du terrain après le pic de 2015, parallèlement à la baisse des flux migratoires. La scène d’extrême droite a donc encore moins de motifs pour justifier l’organisation d’actions notables. Le Service de renseignement écrit que «la scène d’extrême droite fait profil bas comme jamais depuis des décennies» et que le potentiel de violence des extrémistes de droite reste inchangé. Pourtant, la chronologie des incidents racistes 2018 répertorie un nombre de défilés et rassemblements d’extrême droite légèrement supérieur à celui des années précédentes. L’importance sociale de la scène d’extrême droite reste toutefois réduite en Suisse par rapport à l’étranger.

Islamophobie

L’année dernières, plusieurs incidents islamophobes sont parvenus à la connaissance du public, par exemple un cas de discrimination à l’entrée d’une boîte de nuit ou des messages islamophobes sur Facebook à l’encontre d’un homme politique musulman, pour ne citer que ceux-là.

En 2018, l’institut de recherche Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft de l’Université de Zürich a également réalisé une étude sur la qualité de la couverture médiatique des musulmans de Suisse à la demande de la CFR. L’étude a analysé un échantillon d’articles publiés entre 2009 et mi-2017 dans 18 médias papier des trois grandes régions linguistiques. Elle est arrivée à la conclusion qu’il y a une forte augmentation du nombre d’articles créant de la distance par rapport aux musulmans de Suisse. Ainsi, la part d’articles à connotation négative est passée de 22% à 69% entre 2009 et 2017. Cela s’explique en partie par la concentration sur les thèmes de la radicalisation et du terrorisme, comme le soulignent les auteurs de l’étude. Toujours selon l’étude, la presse présente surtout des musulmans affichant des positions radicales et parle généralement des musulmans en Suisse sans leur donner la parole.

Il s’agit déjà de la troisième étude de la CFR sur les minorités dans les médias. En 2013, une étude comparable a été réalisée à propos des Roms, et, quatre ans plus tard, concernant le racisme anti-Noirs. Il était aussi question du rôle que les médias peuvent jouer dans la lutte contre les discriminations. L’étude a mis au jour que les médias jouent un rôle parfois problématique dans la couverture médiatique des minorités.

Sinti et Roms

En 2018, la chronologie de la GRA a recensé seulement deux incidents concernant les Sinti et Roms. L’un d’entre eux est cependant grave: les Jeunes UDC de Berne ont incité à la haine envers les gens du voyage avec une affiche électorale. Malgré le faible nombre d’incidents révélés au public, la Suisse est encore loin de traiter correctement la minorité nomade. C’est ce que confirme l’avis sur la Suisse émis récemment par le Conseil de l’Europe pour la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. L’avis observe un manque d’aires de stationnement et de passage ainsi qu’une augmentation de l’intolérance à l’égard des Yéniches, Sinti et Roms. L’avis souligne également la discrimination à l’encontre des gens du voyage étrangers par rapport aux gens du voyage suisses ainsi que le fait que la reconnaissance des Roms comme minorité nationale n’ait toujours pas été mise en œuvre.

Mot de conclusion

Internet et ses diverses plateformes restent le principal lieu de diffusion du racisme et de l’antisémitisme verbaux. L’accès facile à des contenus et publications discriminatoires sur Internet, la vitesse effrénée à laquelle les textes circulent ainsi que l’abondance de textes font de la communication en ligne un lieu d’échange important de propos haineux de toutes sortes. Les discours haineux peuvent facilement conduire à de la violence dans le monde réel.

Le nombre d’incidents racistes non signalés reste également élevé en Suisse. Très peu d’incidents sont signalés auprès des organismes compétents et les dépôts de plainte sont rares.

En 2018, l’accent a été mis sur la sensibilisation de l’opinion publique suisse au problème du racisme ordinaire. Avec leur campagne nationale sur Internet et la réinterprétation de «Schacher Seppli», la GRA et la GMS luttent en musique contre toutes les formes de racisme ordinaire.

La prévention et la sensibilisation précoces dans les établissements scolaires, mais aussi le courage civil ainsi que des déclarations politiques claires restent indispensables pour lutter efficacement contre le racisme et la discrimination raciale. En effet, chaque attaque contre une minorité représente également une attaque contre les valeurs démocratiques de notre société.

Dans ce contexte, la chronologie de la GRA continuera d’assumer son rôle principal, celui de chien de garde, ainsi que d’évaluer de manière critique et de répertorier de façon systématique et selon des critères et catégories éprouvés les actes racistes, xénophobes et discriminatoires en Suisse, afin que les incidents discriminatoires qui s’y produisent actuellement soient rendus visibles et soient consignés et archivés pour les générations futures.