Entretien avec le professeur Dirk Baier à propos de l’étude «Idées extrémistes chez les jeunes Suisses»
Monsieur Baier, quelles conséquences tireriez-vous des résultats de l’étude? En d’autres termes, dans quel domaine faut-il agir en priorité selon vous?
Selon moi, l’une des conséquences principales de l’étude est d’abord la sensibilisation d’acteurs de toutes sortes. Par exemple, l’extrémisme de droite semble reculer en Suisse ces derniers temps. Les chiffres du Service de renseignement de la Confédération à cet égard baissent sensiblement. Nous avons cependant pu montrer que des idées d’extrême droite sont présentes dans les têtes de certains jeunes. Il y a toujours des comportements xénophobes, racistes et antisémites en Suisse. Une conclusion importante serait donc que la prévention ne doit en aucun cas être négligée, même en période de recul des actes de violence. Avec le Plan d’action national, la Suisse a montré que la prévention est toujours importante pour elle. Il se focalise néanmoins encore trop sur l’extrémisme islamiste. Au niveau politique, il faut affirmer que l’on doit prendre au sérieux les différents extrémismes et fournir des ressources suffisantes pour la prévention. Pour moi, il est important de souligner à cet égard que l’étude ne donne pas lieu de remettre en question tout ce qui a été fait par le passé. Même si l’enquête a fait apparaître des idées extrémistes, elle a aussi montré que la grande majorité des jeunes n’est pas d’accord avec les prises de position extrémistes et s’identifie plutôt à la démocratie et aux principaux principes démocratiques. À cet égard, les écoles jouent un rôle important. La formation à la démocratie semble être mise en œuvre correctement. Une autre conséquence que je tirerais des résultats est l’intensification de la prévention de l’extrémisme de gauche. Il n’existe jusqu’à présent que peu de stratégies de prévention de ce phénomène, très probablement parce qu’il y a des désaccords sur la frontière entre les idées démocratiques et les positions d’extrême gauche. Il faut donc différents acteurs pour développer ces stratégies. Selon moi, il y a, par exemple, une responsabilité de la part des scientifiques et universités.
Selon vous, quels groupes extrémistes représentent la plus grande menace?
La plus grande menace vient sans hésiter de groupes qui mettent impitoyablement en danger la vie d’individus, commettent des attentats et tuent pour défendre leurs objectifs. Je ne pense actuellement pas qu’il existe de tels groupes en Suisse. On ne peut pas exclure la possibilité qu’une personne isolée commette un tel acte. L’Allemagne a montré à plusieurs reprises que les véhicules, c’est-à-dire des objets accessibles à tout un chacun, peuvent être utilisés à cet effet et que les armes ne sont pas nécessaires. Je doute cependant qu’il y ait des groupes avec de tels projets. Quand nous parlons de menace, nous parlons d’un autre type de danger. Les groupes d’extrême gauche représentent actuellement le mouvement le plus actif en Suisse, mais ils s’expriment surtout par de la violence contre des biens matériels. Dans des cas isolés, on observe aussi des attaques contre des policiers. On ne peut pas les ignorer. Il n’existe toutefois pas de stratégie de violence contre les policiers, c’est-à-dire de qu’il n’y a pas d’attaques contre les commissariats, etc. Même s’il faut évoquer l’extrême gauche, il est globalement difficile pour moi d’établir une sorte de classement des groupes extrémistes en fonction de leur dangerosité. Bien que l’étude montre des taux d’approbation différents pour chaque type d’extrémisme, le résultat important est selon moi que toutes les idées extrémistes sont bien accueillies par un petit groupe de jeunes. Toutes les formes d’extrémisme présentent donc un potentiel. La question est de savoir si ce potentiel sera activé. Y a-t-il des événements qui poussent les jeunes à agir conformément à leurs idées? À Chemnitz, en Allemagne, nous avons vu comment un meurtre probablement commis par un réfugié a poussé des extrémistes de droite à agresser des réfugiés innocents. De tels événements déclencheurs sont aussi imaginables pour d’autres extrémismes. Globalement, cela signifie que tous les types d’idées extrémistes représentent un problème, parce qu’elles comportent un schéma «ami-ennemi» qui peut pousser à combattre violemment les personnes déclarées ennemies.
Comment expliquez-vous le potentiel de violence relativement bas des jeunes extrémises en Suisse par rapport à d’autres pays? Qu’est-ce que la Suisse ferait mieux que les autres?
Il n’existe actuellement pas de recherche systématique sur l’extrémisme comparant les pays. Nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude que la Suisse présenterait des chiffres inférieurs à la moyenne. L’hypothèse selon laquelle ce serait le cas est cependant légitime. En matière de délinquance juvénile et violence des jeunes, par exemple, nous savons que la Suisse fait bonne figure. Les raisons de cet état de fait pourraient également être efficaces dans la prévention de l’extrémisme. Il faut dire, entre autres, qu’il y a de bonnes perspectives pour les jeunes de finir l’école et de trouver une formation professionnelle puis un emploi. En Suisse, les familles pauvres et défavorisées ne sont pas non plus livrées à elles-mêmes, comme c’est le cas aux États-Unis. Il existe différentes mesures de soutien, telles que l’aide sociale, qui aident les familles financièrement. En Suisse, les écoles sont aujourd’hui sensibilisées aux thématiques de la violence et de l’extrémisme et mettent en œuvre différents projets de prévention, même s’il y a encore de potentiels progrès à faire en ce qui concerne l’extrême gauche. À cet égard, il convient aussi de mentionner le travail social dans le domaine de la jeunesse, par exemple le travail actif avec les jeunes en milieu ouvert. Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux des individus sont moins anonymes dans les villes de Suisse plutôt petites ou moyennes. On connaît mieux les habitants de son quartier, par exemple, on veille davantage les uns sur les autres et, comme le diraient les criminologues, on se contrôle davantage mutuellement dans son comportement. Il faut cependant aussi souligner que tout n’est pas encore parfait en Suisse. Ainsi, nous savons que l’on a plus souvent recours à la violence physique pour l’éducation des enfants que dans d’autres pays. Ces formes d’éducation ont aussi des répercussions sur les préjugés et le développement d’idées préconçues constituant la base de l’extrémisme. Le monde politique pourrait agir encore plus activement contre la violence dans l’éducation des enfants.
Monsieur Baier, merci pour cet entretien.
ℹ Le professeur Dirk Baier travaille à l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et a coécrit l’étude sur les idées extrémistes chez les jeunes Suisses.