Le racisme en Suisse en 2015

Zürich, 01 Janvier 2015

L’année 2015 s’est terminée de manière tumultueuse: les attentats de Paris en novembre ainsi que l’afflux de réfugiés vers l’Europe qui ne semble pas vouloir s’arrêter, la menace d’attentats terroristes même en Suisse et les jeunes djihadistes d’ici qui partent combattre en Syrie et en Irak ont été les sujets dominants des reportages et des informations dans les médias. La situation mondiale est de manière générale agitée, incertaine et dominée par les guerres et les conflits en tous genres. Il règne en Europe un sentiment de tension et d’insécurité palpable et les mouvements xénophobes connaissent un véritable essor. Les politiques exploitent le doute pour attiser la peur et bien souvent pour faire encore monter la tension d’un cran via les médias sociaux. C’est également ce que montrent les différents articles de la chronologie 2015 publiés par les politiques ainsi que les discours de haine raciale en recrudescence sur Internet. 

Andreas Zick, psychologue social allemand explique: «Le populisme sur Internet crée la réalité à laquelle il croit. Internet est la plateforme idéale pour mobiliser les gens.»
Cette observation s’applique également à la Suisse. Les discours de haine raciale sur Internet, les fameux Hate Speech ont connu une forte augmentation en 2015. Les victimes de commentaires racistes sont principalement les réfugiés, les musulmans et les juifs. Le nombre de messages reçus pour des motifs racistes sur Internet a également fortement augmenté. Le Service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet SCOCI de Berne déclare à ce sujet que cette situation est liée à la forte sensibilisation de la population face au phénomène des discours racistes: les gens sont davantage conscients de la problématique (de par la forte présence médiatique sur ce sujet) et transmettent donc plus rapidement un signalement au SCOCI.

Selon l’Office fédéral de la police (fedpol), dépendant du SCOCI, le nombre de signalements pour discours de haine raciale était quatre fois supérieur à la fin de l’été 2015 qu’au début de la même année. «Les événements comme les attentats terroristes de Paris peuvent avoir des répercussions sur le racisme en ligne» explique la fedpol aux médias. Le Conseil de l’Europe a même déclaré il y a quelques mois au sujet d’Internet que c’était «LE media n°1 pour véhiculer des discours de haine raciale et xénophobes». En 2013 déjà, le Conseil avait lancé une importante campagne «No Hate Speech» afin de lutter contre les discours de haine raciale sur Internet.

Chronologie 2015 
L’an dernier, la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) et la Société pour les minorités en Suisse (GMS) ont enregistré dans leur chronologie moins d’incidents racistes que les années précédentes, ce qui ne signifie cependant pas que le nombre d’incidents ait réellement été inférieur. D’une part les chiffres officieux sont importants: la peur des victimes de signaler un incident et souvent supérieure à la volonté de voir les responsables punis.
D’autre part, la GRA évalue depuis l’an dernier les chiffres avec un peu plus de pondération et ne saisit que les incidents à caractère clairement raciste dans sa chronologie, plus particulièrement dans la catégorie nouvellement créée «incidents xénophobes.»
Précisément sur Internet, un média qui diffuse l’information et de développe vitesse grand V, où la surveillance ne peut pas être totale, les propos racistes et discriminatoires ont enregistré une augmentation drastique au cours de l’année dernière.
La chronologie a enregistré en 2015 de nombreux dérapages verbaux, notamment sur les médias sociaux comme Facebook. Ces propos sont proférés par des politiques et des radicaux de droite mais aussi par des utilisateurs privés qui publient nombre de déclarations à caractère raciste ou antisémite sous leur propre nom, sans user de pseudonyme. Plusieurs contributions de médias de sensibilité de droite ont également été enregistrées dans la chronologie conduisant les organisations antiracistes à porter plainte.
La GRA a enregistré différents incidents contre des personnes pouvant physiquement être identifiées comme appartenant à une minorité dans les transports publics. Ici aussi, les chiffres réels sont probablement nettement supérieurs car la plupart des incidents ne sont pas signalés ou ne sont pas portés sur la place publique.
Par ailleurs, des écrits racistes diffusés par les milieux d’extrême droite ainsi que des cas de négationnisme vis-à-vis de l’holocauste ont été enregistrés et une recrudescence de l’activité de l’extrême droite a pu être constatée.
En 2015, la GRA et la Fédération suisse des communautés israélites FSCI ont enregistré plusieurs incidents antisémites dont deux où des citoyens de confession juive ont été agressés ou insultés en pleine rue. Des incidents antisémites se sont également produits le cadre des matchs de football, comme par exemple, le fan du FC Lucerne déguisé en «juif» bousculé par d’autres fans ou la banderole lors du match St-Gall contre Lucerne portant l’inscription «Le foot rend libre» rappelant l’inscription gravée sur les portes d’Auschwitz «Le travail rend libre» (cf. le paragraphe «Antisémitisme»).
On a également noté ici et là des inscriptions taguées avec des croix gammées ou à l’encontre des musulmans ou encore dans un cimetière musulman.
En 2015, on a fêté les 20 ans de l’introduction de la norme pénale contre la discrimination raciale (article 261bis). Lors de la votation populaire du 25 septembre 1994, 54,6% des électeurs se sont prononcés en faveur de ce paragraphe important du Code pénal suisse.
Les opposants tentent aujourd’hui encore de supprimer cet article pénal. Ils font valoir que le 261bis restreint la liberté d’expression et conduit à un «Etat de juges et de délateurs». Pourtant la norme pénale protège la dignité et la valeur humaine et punit les actions portant atteinte à des individus en raison de la couleur de leur peau ou de leur origine ethnoculturelle de manière explicite ou implicite ou des actions visant à leur retirer leur droit d’existence. Les actions ne sont toutefois passibles de peines que lorsqu’elles ont lieu en public comme le précise la loi.
En 2015, la Commission fédérale contre le racisme CFR a enregistré une hausse significative des ordonnances pénales pour propos racistes sur les réseaux sociaux. 29 ordonnances pénales ont été prononcées à ce jour, il est possible que d’autres cas soient encore signalés. À titre de comparaison, en 2014, seules 10 ordonnances pénales avaient été enregistrées. La hausse enregistrée en 2015 s’explique selon la CFR par la crise des réfugiés et la guerre dans les territoires de Gaza l’année précédente qui avait provoqué une vague d’antisémitisme.

Antisémitisme
En 2016, les Juifs fêteront les 150 ans d’égalité de leurs droits en Suisse. «La communauté juive était, est et restera indissociable de la culture et de la société suisses. Celui qui porte atteinte à des personnes juives en Suisse nous agresse tous!» a déclaré Didier Burkhalter, Conseiller fédéral dans son allocution d’ouverture de la conférence sur la situation de la minorité juive en Suisse en décembre dernier à Berne.
Comme la FSCI l’écrit dans son rapport annuel publié en collaboration avec la GRA (cf. www.antisemitismus.ch) 16 incidents antisémites ont été enregistrés au total en 2015 en Suisse alémanique. C’est bien moins qu’en 2014 où l’on avait enregistré pas moins de 66 incidents. En 2015, le nombre des incitations à la haine antisémite n’a pas été chiffré, tout comme les années précédentes, on a toutefois observé une tendance à la hausse de l’incitation à la haine antisémite par rapport à l’année précédente. Dans le rapport annuel, on a noté comme en 2014, deux attaques physiques clairement antisémites. Il s’agissait dans le premier cas de jeunes de confession juive, originaires de Zurich qui ont été agressés par d’autres jeunes du même âge, dans le second cas, des néonazis à ont attaqué un juif orthodoxe, toujours à Zurich.
Le recul des incidents enregistrés ne permet toutefois pas de conclure à une baisse des comportements antisémites.
L’étude «Vivre ensemble en Suisse» menée à la demande du Service de lutte contre le racisme (SLR) parue début 2015, montre que la propagation partout en Suisse de comportements antisémites au sein de la société reste relativement stable et concerne environ 10% de la population suisse. Cette attitude antisémite est souvent tenue secrète ou s’exprime tout au plus dans les cercles privés. Elle se manifeste par vagues, suite à des événements déclencheurs comme le conflit entre Israël et la Palestine.
Le Centre suisse de compétence pour les droits humains CSDH souligne dans une étude publiée récemment que les agressions avec violence contre les Juifs de Suisse sont certes relativement rares, mais que les comportements et les propos antisémites sont toutefois très répandus. Les propos antisémites sont comme le soulignent les auteurs Eva Maria Belser et Andrea Egbuna-Joss «certes en-dessous du seuil de caractère répréhensible mais ils reposent sur des stéréotypes négatifs et des préjugés qui font qu’ils s’expriment.» Les deux auteurs estiment par ailleurs qu’il y a une augmentation des incidents sur Internet où les propos antisémites et les incitations à la haine sont récurrents.
Vous trouverez de plus amples informations sur le thème de l’antisémitisme en Suisse en 2015 sur www.antisemitismus.ch.

Extrême droite
Comme l’écrit le Service de renseignement de la Confédération dans son rapport de 2015, le milieu de l’extrême droite concentre toujours un potentiel de violence très élevé. L’extrême droite ne met toutefois pas l’Etat en péril et la situation s’est apaisée au cours des dernières années. L’extrême droite reste discrète sur la scène publique et les actes de violence ne permettent pas de déterminer d’orientation stratégique. Les experts estiment que le milieu de l’extrême droite est plutôt restreint et n’a que peu de nouvelles recrues, tout du moins en Suisse alémanique. En Suisse romande on trouve toutefois davantage de groupuscules à orientation politique d’extrême droite qui sont très actifs. Dans le Tessin également, des groupes de néonazis se retrouvent régulièrement. Globalement, les cercles néonazis se retrouvent plus sur Internet qu’en public.
Le Service de renseignement ajoute par ailleurs: «Globalement, les attaques d’établissements de demandeurs d’asile par des individus appartenant à l’extrême droite sont rares. La xénophobie et le racisme font toutefois partie de l’extrême droite. Cela se traduit non seulement par des infractions à la norme pénale contre la discrimination raciale (art. 261bis du Code pénal) ou des inscriptions tagués ou écrites sur des banderoles mais aussi par des agressions physiques.» Qui plus est: «Les milieux d’extrême droite restent centrés sur eux-mêmes. Si des extrémistes de droite sont reconnus comme tels, des conséquences personnelles allant jusqu’à la perte de leur emploi ou de leur place d’apprentissage peuvent en résulter. Ils prennent donc en compte cette possibilité en agissant dans la clandestinité, en ne cherchant presque pas à attirer l’attention du public et en s’organisant sur Internet via les médias sociaux et essentiellement en cercles fermés (…) Mais simultanément, la situation montre aussi que les extrémistes de droite restent actifs et qu’ils disposent d’un potentiel considérable de violence. C’est principalement sous l’emprise de l’alcool à l’occasion de sorties que des actions violentes peuvent se produire. C’est également ce que l’on a pu observer en 2015.»
Les extrémistes de droite suisses limitent actuellement leur activité essentiellement à des actions de propagande contre les réfugiés et les musulmans comme l’écrit Fabian Eberhard, journaliste du «SonntagsZeitung» et spécialiste des milieux d’extrême droite. Il souligne néanmoins que l’«idéologie raciste peut rapidement dégénérer en violence». F. Eberhard ajoute que «les milieux néonazis/d’extrême droite classiques en Suisse n’ont pas augmenté de par leur taille en 2015». Il a cependant observé que «suite aux récents événements, le milieu extrémiste est devenu plus actif et plus soudé et se sent conforté dans son idéologie» que ce soit suite aux incidents d’extrême droite dans les pays voisins comme en Allemagne mais aussi parce que les événements tels que ceux survenus à Cologne incarnent pour ainsi dire «ce qu’ils avaient prédit de longue date». Par ailleurs, on peut observer comme le dit F. Eberhard que l’idéologie xénophobe n’est désormais plus taboue dans la société.

Djihadisme
Comme le Service de renseignement l’écrit, l’idéologie raciste et extrémiste est largement répandue, également dans les cercles djihadistes de Suisse. «Dans le cadre de ce monitoring du djihadisme, plus de 200 internautes ont à ce jour été identifiés après avoir attiré l’attention en diffusant en Suisse ou à partir de notre pays du matériel prônant l’idéologie djihadiste ou en se connectant avec des personnes en Suisse ou à l’étranger qui défendent les mêmes idées.»

Islamophobie
Au cours des derniers mois, l’anti-islamisme en Suisse s’est clairement accentué suite à la situation politique mondiale actuelle. C’est également ce que confirment des représentants des associations faîtières musulmanes, indique Muhammad M. Hanel, porte-parole de l’association des organisations islamiques de Zurich (Vereinigung der Islamischen Organisationen in Zürich VIOZ).
L’antipathie, la discrimination et dans certains cas les actes antimusulmans, en particulier contre les femmes portant le foulard, ont enregistré une forte recrudescence en 2015. Les musulmans vivant chez nous font tout particulièrement l’expérience de préjugés et de discrimination dans leur recherche de travail, en public ou sur leur lieu de travail, ou encore à l’école pour les enfants musulmans. Les reportages dans les médias ont l’an dernier souvent dépassé les limites et attisé les préjugés. Önder Güneş, porte-parole de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse FIDS, confirme lui aussi cette observation. En particulier dans le monde du travail et dans l’espace public, les musulmans de Suisse sont discriminés, suspectés de manière générale de mauvaises intentions et ils remarquent une réserve de plus en plus grande à leur égard. Il dit que l’an dernier, les discussions politiques ont été beaucoup plus chargées en émotions. Les reproches en bloc contre les musulmans ont été plus nombreux et l’on constate un amalgame, aussi bien sur Internet que dans les médias ou dans le cadre privé. Les avis pondérés sont moins nombreux et il n’est plus tabou que de tenir des propos racistes en public.
Le racisme envers les musulmans n’est plus du seul fait de l’extrême droite mais est aujourd’hui au cœur de la société. Les politiques d’extrême droite attisent souvent la haine et la discrimination comme le montrent les différentes notifications dans la chronologie. Le Service de renseignement de la Confédération écrit au sujet de l’islamophobie de l’extrême droite: «A l’idéologie diffuse des milieux d’extrême droite, un amalgame de xénophobie, de racisme, de sentiments de supériorité et d’impuissance, de théories du complot et d’antisémitisme, pourrait venir s’ajouter une nouvelle composante avec l’hostilité à l’égard de l’islam. De plus, dans les médias sociaux, certains adhérents de Pegida en Suisse approuvent l’utilisation de la violence contre des installations musulmanes.»

Yéniches, Sintis, Roms
En 2015, la Suisse comptait encore trop peu d’emplacements pour les gens du voyage. Seuls quelques cantons satisfont à l’exigence de la Confédération imposant la mise à disposition d’un nombre d’emplacements suffisant. De très vieux préjugés, des pétitions et des objections retardent les projets de construction de nouveaux emplacements souvent de plusieurs années. Les préjugés vis-à-vis des gens du voyage restent largement répandus. Comme le rapporte le journal «Scharotl» de la Radgenossenschaft (association des gens du voyage), de très nombreux préjugés racistes vis-à-vis des gens du voyage sont fortement enracinés en Suisse, ce qui est aussi visible dans les médias.

Prévention et explication
Pour résumer, on peut dire qu’en Suisse, les agressions et les propos à caractère xénophobe/raciste se retrouvent de plus en plus sur Internet. La diffusion de préjugés et de stéréotypes ou les appels à la violence à l’égard de minorités attisent la haine et entraînent une discrimination et un refus au quotidien, également chez des personnes n’ayant pas d’opinions radicales.
Pour faire barrage à cette tendance, il est important tout d’abord de faire un travail d’explication auprès des jeunes. Il est aussi important que les nombreux internautes privés fassent preuve de courage civique en réagissant et en intervenant face aux propos racistes, discriminatoires, non démocratiques ou dégradants, afin de contrebalancer ainsi les discours d’incitation à la haine raciale. Par ailleurs, les internautes devraient signaler tout commentaire raciste le plus vite possible sur les sites d’infos respectifs ou au média en ligne concerné (cf. gra.ch/vorfall-melden).
Les organisation antiracisme sont également sollicitées: avec sa campagne «Une Suisse à nos couleurs» lancée à l’été 2015 à l’occasion du 20e anniversaire de la commission, la CFR a surtout voulu sensibiliser les jeunes sur la thématique des propos haineux sur Internet et leur montrer comment réagir et répondre à ce genre de situations et revendiquer une Suisse hétérogène, démocratique et haute en couleurs (cf. bunte-schweiz.ch). La plupart des gens rejettent le racisme sur Internet mais ne savent pas que répondre explique la CFR.
Le National Coalition Building Institute NCBI s’engage également pour la prévention et l’explication, plus particulièrement chez les jeunes, dans les écoles et les établissements de formation. Faire tomber les préjugés, le racisme, l’antisémitisme et la discrimination en tout genre et la prévention contre la violence sont les principaux objectifs de l’association.
La GRA développe actuellement en collaboration avec la fondation Eduction à la tolérance Stiftung Erziehung zur Toleranz SET un important projet sur la promotion de la tolérance. «L’éducation dès le plus jeune âge à la tolérance et au respect mutuels de la diversité». Ce faisant, on utilisera dans les garderies, à savoir les établissements prenant en charge de jeunes enfants non scolarisés, des «boîtes de la diversité» comportant un manuel pédagogique donnant l’occasion aux enfants mais aussi au jeunes et aux adultes autour de la garderie, de découvrir de manière ludique la tolérance et le respect de l’autre.
Les sentiments et les expériences en matière de relations influencent un individu dès son plus jeune âge. C’est pourquoi les rencontres et le vécu ont une incidence notable et durable très tôt. Si un jeune enfant a une expérience positive avec des enfants «différents» et qu’il peut percevoir les adultes comme des modèles de tolérance, il est très probable que sa capacité à percevoir, ressentir, penser et agir avec tolérance se développera positivement.
Ces compétences peuvent être stimulées dans le cadre de l’éducation dans les garderies et les écoles. En expliquant et en encourageant les rencontres directes dès le plus jeune âge, en découvrant le courage civique, (les médias ont ici aussi une part de responsabilité) ainsi que l’application rigoureuse des ordonnances pénales il est possible de créer un contre-courant et de résister au racisme qui se propage de plus en plus rapidement sur Internet et au quotidien.

GRA/GMS, Mars 2016