L’extrémisme de droite en Suisse en 2006/2

Zürich, 31 Décembre 2006

Toujours marginal, mais plus fort que jamais

Mouvement d’extrême droite en Suisse en 2006

Le 1er août 2006, une forte délégation de policiers contrôlait tous les accès à la prairie du Grütli et à la manifestation traditionnelle qui s’y tenait à l’occasion de la fête nationale. La Commission du Grütli de la SGG, la société d’exploitation du lieu, avait – enfin – réagi à l’usurpation de la fête du Grütli par l’extrême droite. Quelques représentants de cette mouvance s’étaient une première fois manifestés lors de la fête de 1996. Les années suivantes, ils furent chaque fois plus nombreux. Il s’agissait pour la plupart de skinheads à tendance nazie, mais il y avait également certains négationnistes. En l’an 2000, ils ont sifflé l’orateur du jour, le conseiller fédéral Kaspar Villiger. Leur affluence avait pour la première fois fait l’objet d’une large couverture par le journal de boulevard “Blick”, qui avait utilisé l’expression “L’infamie du Grütli”. Depuis lors, l’extrémisme de droite est de plus en plus reconnu comme un problème de société en Suisse.

Cependant, les organisateurs de la fête du Grütli ont conservé sa forme traditionnelle, offrant les oripeaux d’une idéologie réactionnaire du “Sonderfall”: l’isolement vis-à-vis de l’extérieur, l’accentuation du passé rural et l’exclusion des étrangers. C’est seulement après que le conférencier et conseiller fédéral Samuel Schmid se soit fait fustiger par presque une moitié des participants à la manifestation du 1er août 1995, lorsque ce dernier a parlé d'”intégration”, de “démocratie” et de “tolérance religieuse”, que la commission du Grütli a vu la nécessité d’agir. En janvier 2006, celle-ci a annoncé que les visiteurs ne pourraient plus accéder à la prairie du Grütli qu’avec un billet et que les extrémistes de droite seraient tenus à distance. Bilan de ces efforts: quelques extrémistes de droite ont réussi à se frayer un chemin jusqu’au Grütli mais ont été déboutés. Il y a eu relativement peu de visiteurs, la fête manquait d’ambiance et les mesures de sécurité coûteuses ont fâché les autorités des cantons d’Uri et de Schwyz.

Les extrémistes de droite ne sont pourtant pas restés inactifs le jour de la fête nationale. Dans la matinée, environ une centaine d’entre eux avaient cherché à investir le château de Lenzburg où le conseiller fédéral Samuel Schmid donnait son allocution. L’après-midi, après le discours du conseiller fédéral Blocher, ils ont formé un cortège en direction d’Uster. Le soir venu, ils ont célébré le premier août à Trüllikon bei Andelfingen, après avoir défilé en cortège dans le village avec des torches. Le premier août est devenu ces dernières années un moment privilégié pour les milieux de l’extrême droite en Suisse.

Des critiques se sont élevées, en particulier chez les représentants du camp national-conservateur, au sujet de cette tentative de déjouer les plans de marche vers le Grütli. Certaines voix ont minimisé la situation de l’extrême droite d’une manière générale. Le conseiller national UDC et président de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) Hans Fehr a d’emblée parlé de “quelques cinglés pubertaires et leurs acolytes”. Un processus révélateur: ce sont toujours les représentants de l’UDC qui tantôt minimisent les dangers et l’impact de l’extrémisme de droite où qui s’attaquent à ceux qui s’engagent contre cette mouvance. Un fait subsiste: c’est que l’extrémisme de droite prospère à l’ombre du camp nationaliste et conservateur, et ce dernier indique – avec des campagnes discriminatoires – la cible de la haine.

Depuis le milieu des années 80, avec la résurgence des mouvements nationaux conservateurs, une partie de la population suisse a adopté une vision conservatrice (voir raciste) des problématiques de société, qu’il s’agisse des conséquences sociales des drogues illégales ou de questions scolaires. Outre les micro-partis nationalistes, l’UDC en tant que parti gouvernemental encourage ce climat de discrimination à l’aide de campagnes agressives. Dans tous les cas de figure, le camp des nationalistes conservateurs dispose d’un grand nombre d’organisations (comme l’ASIN), de publications (par exemple le “Schweizerzeit” d’Ulrich Schlüer) et de membres économiquement puissants, de représentants et de supporters particulièrement actifs, par exemple chez les personnes écrivant des lettres de lecteurs. C’est ainsi que la droite ultra-conservatrice parvient de façon récurrente à accaparer le débat politique. Toutefois, ces dernières années ce camp a perdu toutes les votations populaires relatives au thème “Suisse et étrangers”. Il a gagné cependant lors des récentes votations sur la révision de la loi sur les étrangers et de la loi sur l’asile.

A l’ombre du camp nationaliste conservateur s’est développée depuis 1985 une subculture marginale et cependant grandissante d’extrémistes de droite, constituée principalement de jeunes adultes mâles, plus précisément des skinheads de tendance nazie et des “patriotes”, mais aussi de quelques négationnistes de l’holocauste, d’activistes dans des campagnes politiques et de militants dans des organisations à caractère politique ou culturel, qui veulent promouvoir l’extrême droite par un travail idéologique. Comment se présente cette mouvance en 2006?

Certes, depuis la seconde guerre mondiale, certains groupuscules d’inconditionnels ont continué à véhiculer l’idéologie nationale-socialiste ou fasciste, comme le lausannois Gaston-Armand Amaudruz. Mais c’est seulement depuis le milieu des années 80 que s’est développée graduellement en Suisse une sub-culture extrémiste dont la partie émergente a été le “petit printemps des fronts” de 1989. Le groupe proportionnellement le mieux représenté était et demeure celui des skinheads, plus précisément des skinheads se réclamant de l’idéologie nazie. Ce sont eux qui, régulièrement, on été reconnus coupables des incendies de bâtiments abritant des requérants d’asile, d’attaques contre des personnes de groupes minoritaires et de propagande raciste. Les discours ont donc été suivis par des actes.

 Subculture d’extrême droite  –  skinheads nazis et “patriotes”

La plus grande partie des jeunes suisses d’extrême droite se regroupe en diverses subcultures, principalement les skins à tendance nazie, quelques NS-Heavy-Metal et quelques Gothic-Darkwave. A côté de ces groupes, existent d’autres cliques ou groupuscules de “patriotes” faiblement structurés. Il s’agit plutôt d’un milieu que d’une “scène”. Les “patriotes” se caractérisent par un nationalisme militant, un refus vis-à-vis de certains groupes d’étrangers (par exemple des hommes des différentes régions d’ex-Yougoslavie, d’Afrique ou d’Asie) ainsi que des Suisses se réclamant de la gauche. Les frontières de ce milieu sont poreuses, d’une part en direction des skins à tendance nazie de l’autre vers les groupements et les partis néo-conservateurs.

La subculture “Skinhead” est née dans les années 60 dans la jeunesse en Grande-Bretagne. Y était représentés surtout des jeunes hommes des milieux ouvriers. Ils était fans d’alcool et de football, aimaient la musique Ska des jeunes migrants jamaïcains. Ils recherchaient l’attrait de tapages occasionnels et s’opposaient aux jeunes à cheveux longs, en particulier aux Hippies et également à certains immigrants d’origine indienne. Mais ils n’étaient pas explicitement néonazis ou extrémistes de droite. C’est seulement au début des années 80, lorsque les deux partis britanniques fascistes, le National Front et le British National Party ont cherché à recruter des membres dans les stades de football qu’une mouvance skinhead s’inspirant de l’idéologie nazie s’est créée. En Suisse, les premiers Skinheads d’extrême droite sont apparus au début des années 80 à Zürich, dans le milieu des fans de football/hooligans, à l’époque en particulier le “Hardturmfront”.

Depuis plusieurs années, les skinheads suisses de tendance nazie se regroupent en sections locales ou régionales qui ne se réclament d’aucune direction commune ni même d’une appellation particulière. Plutôt milieu qu’organisation, ces skinheads sont pour l’essentiel âgés de 15 à 25 ans, ont un métier manuel, habitent dans des communes rurales ou de petites villes. Comme le formule le Service d’analyse et de prévention(SAP): ” La mouvance extrémiste de droite est constituée de petits groupements non structurés, qui entretiennent entre eux des liens lâches et dont la composition et le nom changent fréquemment.”. Quant ils en portent un. “La mouvance extrémiste de droite en Suisse, poursuit ce service, ne partage aucune unité de vues, ni de base commune. On compte à l’heure actuelle environ un millier de sympathisants de ce milieu en Suisse.” Concernant la menace qu’elle représente, le document estime que: “Les activistes de droite perturbent parfois considérablement l’ordre et la sécurité publique, mais de façon ponctuelle et locale. La Suisse demeure un lieu particulièrement attractif pour l’organisation de concerts Skinhead et de manifestations apparentées.” Ce que le SAP désigne par des “menaces ponctuelles de la sécurité publique” désigne en fait des actes qui peuvent avoir pour des membres de groupes minoritaires ou des requérants des conséquences gravissimes. En 2005, six skinheads de tendance nazie ont comparu devant le tribunal de district de Frauenfeld parce qu’en 2003, ils avaient à tel point tabassé un jeune fan de reggae de 15 ans qu’ils l’avaient laissé handicapé à vie. Motif invoqué par les inculpés: ils voulaient “tabasser des gauchistes”. Le tribunal cantonal de Thurgovie a partiellement augmenté les peines en mai 2006.

Bien que la mouvance skinhead pro-nazie soit peu structurée en Suisse, il est important d’évoquer deux organisations qui existent sur le plan international depuis des années. Il s’agit d’une part des Hammerskinheads, fondés en 1986 à Houston/Textas en tant que fraternité blanche et donc raciste, revendiquant “des territoires blancs pour les hommes blancs” (white areas for white people). L’autre mouvement est le groupement Blood and Honour, fondé en Grande-Bretange en 1987 comme une “voix dissidente du rock contre le communisme”. Il s’agit d’une “organisation politique sans carte d’adhérent”. Elle a pour but de répandre l’idéologie néo-nazie à travers ses propres publications, des supports audio, le commerce d’objets et d’insignes nazis, ainsi que l’organisation de concerts. Dans l’environnement Blood and Honour s’est également constituée une organisation terroriste (Combat 18, le chiffre 18 se référant à Adolf Hitler) responsable d’attentats en Grande-Bretagne et en Suède.

Ces deux organisations ont également essaimé en Suisse. Déjà au début des années 90 les Nazis-skinheads de Suisse centrale ont fondé une section suisse, aujourd’hui la plus ancienne des sections européennes encore existantes de la “nation Hammerskin”. Les Hammerskinheads suisses (SHS) sont connus pour être des organisateurs de concerts expérimentés. Dans les années écoulées, ils ont organisé régulièrement des grands concerts, celui ayant réuni le plus grand nombre de participants étant le concert d’été du 10 août 2002 à Affoltern-am-Albis (environ 1’200 visiteurs de plusieurs pays européens).

Une section suisse de Blood and Honour est apparue seulement en 1997/98, d’abord en Suisse alémanique, puis en Suisse romande. Sa figure de proue est un ex-hammerskin, Olivier Kunz, qui s’est immédiatement profilé comme organisateur de concerts, éditeur de publications ainsi que durant un certain temps distributeur de musique par correspondance. Après son jugement pour infraction contre la norme pénale sur la discrimination raciale et l’interdiction des concerts nazis-skinheads – en premier lieu dans le canton de Vaud – ces activités ont accusé un net recul, même si Blood and Honour Romandie est apparu comme co-organisateur de manifestations en 2003 et 2004. En 2004, il a également été question d’une section zurichoise de Blood and Honour, dont on ne connaît cependant rien. Sur l’internet existe depuis longtemps une page “Combat 18” ainsi qu’un “Swiss Forum”qui s’est ouvert mi-août 2004 et dans lequel s’expriment aussi bien des skinheads alémaniques que romands.

En 2006, ces deux organisations en Suisse n’ont pas fait parler d’elles.

La Helvetische Jugend est une organisation affiliée au PNOS (Partei national Orientierter Schweizer ou Parti nationaliste suisse). Elle a été créée début juillet 2004 dans la région d’Oberaargau dans le canton de Berne. Parmi ses buts figurent sur sa page internet “la fin du multiculturalisme”, grâce entre autre à “l’expulsion d’étrangers dangereux et la limitation du nombre d’étrangers” sur le territoire suisse. Plus loin il est question de “l’internement pour les demandeurs d’asile” et d’une “meilleure éducation plus neutre dans les écoles suisses” (où il faudrait cesser toute propagande en faveur de Lénine et de Staline et séparer les élèves germanophones des non-germanophones). Enfin, il faudrait mettre un terme à la “désinformation gauchiste et à la terreur des médias, car il faut plus de journalistes neutres”.

En 2006, il a été peu questions des activités de la Helvetische Jungend. Le groupe dispose d’une présence sur internet, mais le site a cessé d’être actualisé. On trouve simplement de nouvelles entrées dans le livre des visiteurs.

Le groupe “Nationaler Widerstand am Rigi” est apparu pour la première fois en 2006. On ne sait pas quelle est la taille du groupe ni qui sont ses représentants. Ils sont, comme ils le disent sur leur homepage “une association de jeunes qui en ont marre d’être insultés, apostrophé et même agressés par des jeunes étrangers, qui ont fait un divertissement du fait de s’en prendre à de jeunes suisses.” Ils veulent donc entrer en “résistance contre le multiculturalisme, les étrangers violents et criminels, la jeunesse suisse sans buts, les abuseurs d’enfants et les criminels sexuel, la destruction de l’environnement, la vente et la consommation de drogues, les mensonges des médias, la globalisation de notre langue et de notre peuple”. Dans leurs rangs règne une “saine camaraderie”, une préoccupation pour le pays et pour le peuple et la volonté de changer quelque chose”. Le groupe a produit en 2006 trois tracts, l’un intitulé “Kilbi”, un autre “Multikultur” et un troisième “Anti-Antifa”. Le tract “Kilbi” (kermesse) s’en prenait au fait que “chaque année la fête de la Kilbi est ternie par des problèmes de drogue et des bagarres. Ces bagarres se sont pas seulement liées à l’alcool, il s’agit beaucoup plus souvent la manifestation de haine et de méchancetés envers les victimes suisses de la part principalement de jeunes étrangers.”

Dans le papillon dénonçant l'”excès du multiculturalisme” il est dit: “Le problème est lié au mélange de différentes cultures, mélange déjà très avancé en Suisse et qui est encouragé par les pouvoirs publics”. Dans le tract “Anti-Antifa”, il est dit sans détours qu’il ne faut donner aucune chance au “chaos rouge, aux sympathisants du multiculturalisme et du bolchevisme”.

Lors de l’apparition du Nationalen Widerstand am Rigi, divers émules sont apparus sur internet dans la région. Il est probable que la section est du PNOS Küssnacht am Rigi s’adresse à ses membres et à ses sympathisants par ce biais-là.

Heimatbewegung (mouvement patriote)

Lors de la fête du 1er août 2006 à Trüllikon, un partisan de la “Heimatbewegung” a pris la parole. Il s’agit de la seule apparition publique d’un membre de cette organisation fondée en 2004-2005 et joignable via case postale à Dübendorf. Il est difficile de savoir combien de membres compte ce mouvement et quelles sont ses activités internes. La “Heimatbewegung” fait des apparitions sporadiques sur le net à l’occasion de la discussion de thématiques portant sur les “étrangers”, généralement déclenchées par des actions politiques du camp nationaliste conservateur.

La “Heimatbewegung” vise la dissolution de la Suisse quadrilingue, car elle défend en priorité les intérêts et la survie de la “population alémanique”, à savoir “pour un Etat populaire représentant les limites actuelles de la Suisse alémanique”. Sinon, les points principaux du programme sont – comme c’est généralement le cas pour les groupements d’extrême droite – le soutien à la Suisse rurale, le rétablissement de la peine de mort, l’abolition du droit d’asile, le frein total à l’immigration, l’interdiction de toute forme d’intégration des étranger ainsi que l’arrêt complet des procédures de naturalisation.

Dans les pays d’Europe francophone une nouvelle mouvance s’est développée au sein du camp d’extrême droite qui se nomme les “Identitaires” et en appelle à une “identité européenne et blanche” tout en se positionnant contre l’immigration en provenance des autres continents. En France, une branche dissidente des “Identitaires” s’est formée et s’est fait remarquer par des actions spectaculaires. En Suisse, il existe deux groupements différents, d’un côté les Identitaires de Romandie, de l’autre les Jeunesses Identitaires de Genève. On ne sait pas combien de membres comptent ces deux organisations, ni quels sont ses leaders. Chacun de ces groupes bénéficie d’une présence sur internet.

Début juillet 2005, Les Identitaires de Romandie ont annoncé qu’ils allaient suivre les traces de leurs “cousins” belges et français. Leur but est la défense des Européens de race blanche. Face aux dangers de la globalisation, de l’immigration massive, et à la dissolution de “l’identité suisse et européenne” ils ne voient qu’une issue pour la jeunesse romande: agir ou subir. Et tout cela “pour la Romandie, pour la Suisse et pour l’Europe”. En 2006, sont parus deux numéros des “Cahiers identitaires romands”, un cahier fabriqué de façon primitive.

Les Jeunesses Identitaires de Genève sont apparues sur la scène publique pour la première fois en 2006. En été 2006, ils ont distribués dans un quartier genevois un petit pamphlet stigmatisant la “haine contre les Suisses”. Fin octobre, ils ont organisé à Genève une commémoration à la mémoire de la résistance hongroise de 1956 et début novembre, ils ont circulé avec des tracteurs et des chars à travers les villages genevois et ont distribués des tracts contre les aliments transgéniques.

On constate une tendance néo-fasciste chez une frange du mouvement Dark Wave/Neofolk, également en Suisse et plus particulièrement en Suisse romande, où ont lieu les concerts. Une soirée de ce type a été organisée par l’association “Soleil Noir”, présidée par le lausannois Lars Kophal. Dans sa présentation, l’association “Soleil Noir” manifeste une vision du monde ambigüe. Elle s’affirme d’abord apolitique mais elle déclare plus loin: “nous vomissons la modernité sans racines, le matérialisme sans âme, l’utralibéralisme destructeur, l’exploitation des travailleurs par le grand actionnariat international, la globalisation-standardisation planétaire, la grande soupe fade du multiculturalisme, l’américanisation comme la tiers-mondisation”. Ils se conçoivent comme Suisses et Européens et ceci sans honte ou sentiment de culpabilité. Leur vision pessimiste et européocentrique prend un tour clairement politique à l’évocation laudative de l’idéologue fasciste Julius Evola. Une grande partie de la mouvance Dark Wave/Neofolk ne se montre pas critique à l’égard de cette minorité d’inspiration néo-fasciste, et des journalistes peu critiques partagent parfois cette opinion.

Vente de livres et de musique par correspondance

Jusqu’à ces récentes années, les extrémistes de droite suisses devaient aller se fournir à l’étranger, en particulier en Allemagne, pour acheter des livres et des enregistrements. En 2004, Sacha Kunz, l’ancien président du PNOS avait mis sur pied une structure de distribution. Le label “White Revolution” devait être un label actif dans la distribution de disques. Selon les déclarations faites sur le site Internet, “White Revolution” se voulait un label suisse dont l’objectif était “de participer à la scène musicale suisse du courant nationaliste”. Le studio d’enregistrement “Swastika Records”, actif dans la production professionnelle de musique était rattaché à ce label. En automne 2005, Sacha Kunz a rebaptisé sa société du nom plus anodin de Helvetia Versand, puis plus tard Utgard Versand. L’offre n’a pas changé est restée accessible via Internet pendant quelque temps, jusqu’à ce que la police cantonale argovienne perquisitionne au domicile de Kunz dans le cadre d’une procédure pour violation de la norme pénale contre la discrimination raciale. La clientèle de la maison de vente s’était étoffée, comme l’a signalé l’association Antifa Berne à la mi-août 2005, lorsqu’on lui a fait parvenir la base de donnée avec plus de 150 noms de clients.

Durant l’été 2006, Kunz a suspendu son activité après quelques déboires financiers. En hiver 2006, un tribunal allemand l’a condamné à une amende et a également ordonné la confiscation des enregistrements déjà produits. Au quotidien “Blick” Kunz a déclaré en septembre 2006: “Je me retire”. L’avenir dira si cette information correspond à la réalité. Sacha Kunz était l’un des partenaires du duo “Die Eidgenossen” qui ne s’est pas produit en 2006. Conclusion: les extrémistes de droite en Suisse doivent à nouveau importer leur CD’s de musique depuis l’étranger, lorsqu’ils ne les achètent pas au stands lors des concerts.

Adrian Segessmann opère la diffusion de ses livres “Neue Zeitwende” à partir d’une case postale à Aefligen (près de Kirchberg BE). Il propose des livres sur divers thèmes comme “L’histoire, la culture et les coutumes, la politique et d’autres thèmes”. En réalité, il s’agit surtout de livres concernant des fantasmes de complots, des sociétés secrètes et d’ouvrages à la gloire des SS ainsi que de publications d’auteurs d’extrême droite comme Jürgen Schwab ou Peter Dehoust. Toutefois son offre ne s’est pas beaucoup développée durant l’année écoulée.

Le jeune Adrian Segessenmann, âgé de 27 ans, est actif depuis plusieurs années dans le milieu de l’extrême droite. Il a notamment participé à l’agression Hammerskin lors d’un festival de musique anti-fasciste à Hochdorf (4.11.1995). Selon certains dires, il serait également actif dans la société Avalon et ferait partie des organisateurs de la conférence qui a débouché sur le changement de définition concernant le caractère “public” d’un fait. Le jeune Segessenmann a fait inscrire en juillet 2006 la société en nom propre “Thor Steinar”, dont le but est la vente de la marque de vêtements Thor Steinar, très apprécié des jeunes néo-nazis. Mais l’on ne fait pas entièrement confiance aux clients semble-t-il, car parmi les conditions de vente figure le paragraphe suivant: “Règle no 1: Ne commande pas de vêtements si tu n’as pas d’argent pour les payer. Nous poursuivrons sans relâche les mauvais payeurs jusqu’à ce que nous ayons obtenu notre argent!”.

Le jeune Segessenmann est apparu à diverses reprises comme rédacteur sous le pseudonyme de “Schwed” lors du forum des Hammerskin, et également comme défenseur de la cause révisionniste, c’est-à-dire qu’il nie l’holocauste. Ainsi “Schwed” écrivait fin octobre 2006 que “le révisionnisme est une clé importante pour le succès de notre combat et l’on devrait soutenir des gens comme German Rudolf et Ernst Zündel”.

Groupes de musique

Dans toutes les subcultures de jeunes, la musique joue un rôle d’identification et de valorisation, d’une part en tant que vecteur d’une certaine joie de vivre et, d’autre part, en tant que moyen de diffusion de messages politiques. Les concerts servent à cimenter le groupe et à diffuser des messages politiques, surtout lorsqu’ils sont organisés par des skinheads néo-nazis, car on y trouve généralement des stands qui proposent aussi bien des enregistrements que des livres/brochures ainsi que d’autres articles typiques du mouvement. Jusqu’à la publication de l’arrêt du Tribunal fédéral concernant la norme pénale antiraciste et la notion d’événement “public”, la police et le juge d’instruction considéraient les concerts skinheads néonazis comme des manifestations privées, même s’ils réunissaient plus de mille personnes et si l’annonce du concert était accessible aux journalistes.

En 2006, la pratique de la police s’est peu modifiée, La police est intervenue lors d’un grand concert et le prétexte à cette importante mobilisation policière était le refus de coopérer de certains des spectateurs et non pas l’infraction à la norme pénale sur la discrimination raciale. La police du canton de Berne s’est cependant montrée coopérative avec les organisateurs d’un concert s’adressant à l’extrême droite. Bien que cette dernière ait reçu de la part des autorités politiques et judiciaires la consigne d’empêcher un concert planifié, les menaces des organisateurs ont incité la police à se montrer coopérative. Ainsi, les forces de l’ordre ont même interdit l’accès au site à un représentant des médias, à la demande des organisateurs. Elles n’ont donc à aucun moment vérifié la conformité avec la norme pénale contre la discrimination raciale.

Plusieurs groupes de musique à tendance extrémiste sont apparus au cours des dernières années. Il y a dix ans déjà naissait le groupe bâlois “Sturmtruppen Skinhead”, plus tard le groupe Hammerskin de Suisse orientale “Erbarmungslos”. Emanant également de la mouvance Hammerskin, les musiciens du groupe lucernois “Dissens”. Dans une interview datant de l’été 2006, ce groupe a annoncé la sortie d’un nouveau disque, ainsi que la création d’un nouveau groupe suisse du nom de “Vargr I Veum”. Les deux nouveaux groupes qui ont donné des concerts en 2005, le groupe zurichois “Amok” et le groupe valaisan “Helvetica”, n’ont pas encore sorti de disque.

“Indiziert”

“Indiziert” est actuellement l’une des formations d’extrême droite les plus connues en Suisse. Elle a été peu présente en 2006. Au début de l’année, le groupe a sorti son deuxième album “Marsch auf Bern”. Dans une interview donnée à la “Berner Zeitung” le chanteur du groupe Lüthard a affirmé clairement ses convictions racistes, déclarant qu'”il ne s’entretiendrait pas avec un journaliste à la peau basanée”. Tant en raison du contenu des textes que des déclarations faites à la presse, les autorités d’enquête ont ouvert une procédure pour infraction à la norme pénale contre la discrimination raciale. Fin novembre, l’autorité judiciaire unique a suspendu la procédure. Une partie des textes des chansons étaient effectivement “de mauvais goût, moralement discutables et offensants”, mais ne portait pas pour autant atteinte à la norme pénale.

Le groupe rock “Indiziert” se compose des frères Alex et Cedric Rohrbach, de Dominic Lüthard et de Benjamin Lingg. Lüthard s’était porté candidat sur la liste du PNOS ainsi qu’au législatif de la commune de Roggwil mais n’a pas été élu. L’organisateur officiel du festival rock de droite “Helvetien Rockt” était le label de disques “HDR-Records”, dont les principaux instigateurs sont les membres du groupe “Indiziert”. Six groupes étaient annoncés lors de la manifestation, mais ils ne furent que deux à jouer.

Activités politico-culturelles

Divers activistes et organisations se réclament d’une idéologie d’extrême droite mais ne participent pas forcément à la politique institutionnelle et ne se présentent pas aux élections. Il s’occupent de promouvoir leur idéologie par un travail de formation et de réseautage. On peut citer ainsi le cercle Avalon ou Gaston-Armand Amaudruz avec son journal le “Courrier du Continent”, mais aussi le couple Paschoud avec son journal “Le Pamphlet”. Outre ces activités déjà anciennes, on recense l’apparition en 2004 et 2005 d’un groupement nommé le “Bund Oberland”, créé par un groupe de jeunes activistes inconnus de l’Oberland bernois.

Le cercle Avalon

Le cercle Avalon est longtemps resté secret, de sorte que ses activités sont peu connues du grand public. Cependant son représentant Ahmed Huber, également activiste islamiste, prétend qu’occasionnellement des journalistes, des parlementaires ainsi que d’autres personnalités influentes ont pris part aux manifestations du cercle Avalon. Toujours est-il que Huber affirmait durant la campagne électorale de l’automne 2003 à la SonntagsZeitung que Bernhard Hess, conseiller national bernois des Démocrates suisses (DS) avait pris part à des activités de la société Avalon. Hess a contesté – sans convaincre – ses contacts avec l’extrême droite. En janvier 2005, le rédacteur de “Recht + Freiheit”, Ernst Indlekofer, s’est fâché contre une déclaration de Hess où il était question de “l’irrémédiable disparition du Reich allemand”, faisant allusion au fait qu’il avait entendu dire que Hess fréquentait depuis des années les réunions du cercle Avalon, et que de ce fait il devrait savoir que “les transformations et l’histoire de l’Allemagne sont le thème principal de la célébration bisannuelle de cette société germanophile”.

Le Cercle Avalon a été créé en 1990 par Roger Wüthrich, précédemment dirigeant de la “Jeunesse Viking suisse” et par Andreas Gossweiler, actif dans divers mouvements d’extrême droite. A ces rencontres participent d’anciens fascistes ainsi que de jeunes skinheads, outre ses représentants les plus connus comme Ahmed Huber et Roger Wüthrich.

Gaston Armand Amaudruz et le “Courrier du Continent”

Le vieux fasciste Gaston Armand Amaudrz est aujourd’hui âgé de 85 ans, mais continue à publier régulièrement son petit journal de 12 pages hectographiées, le “Courrier du Continent”. Le contenu est identique depuis des années. Dans la partie “bloc-notes”, Amaudruz tire des citations des journaux qu’il assortit de commentaires sardoniques. Mais dans cette rubrique, il donne également des informations (y compris adresses) de nouvelles publications de l’extrême droite et de ce fait contribue à la mise en réseau de ce milieu. Puis viennent des rubriques habituelles sur la “criminalité” ou sur la “Lois-Baillon” (c’est ainsi qu’Amaudruz désigne la norme pénale suisse sur la discrimination raciale). Viennent s’ajouter des textes de ses collaborateurs Guiseppe Patanè, Willi Märki et Eduardo Longo. En 2006, le négationniste René-Louis Berclaz a également écrit dans le “Courrier du Continent” au sujet du procès Robert Faurission. La dernière page est consacrée à un article où Amaudruz expose ses thèses racistes, antisémites et négationnistes. Ces propos ont valu à Amaudruz deux séjours de trois mois en détention voici quelques années.

Le “Courrier du Continent” est paru pour la première fois en 1946 et est rédigé et publié depuis une cinquantaine d’années par le fasciste lausannois Gaston-Armand Amaudruz. Pendant des décennies, ce cahier était l’organe officiel de NOE, une petite organisation raciste dont Amaudruz était l’un des principaux animateurs. Le pamphlet continue à être publié aujourd’hui à quelques centaines d’exemplaires.

Claude et Mariette Paschoud “Le Pamphlet”

Dans son édition élargie de l’été 2006, “Le Pamphlet” invitait ses sympathisants à un dîner de célébration à l’occasion de son 35 ème anniversaire, avec des allocutions de Max l’Impertinent, Daniel Bassin, Michel de Preux et Claude et Mariette Paschoud. Dans son “édition jubilé”, les responsables de cette publication se réjouissaient d’annoncer qu’alors que cinq ans auparavant ils étaient prêts à jeter l’éponge, ils envisageaient désormais l’avenir avec optimisme. Il y a eu 10 numéros du “Pamphlet”. Les auteurs étaient, outre les Paschoud, Michel de Preux, Gérald Berruex et d’autres écrivains anonymes comme Max l’Impertinent et Pollux.

En 2006 “Le Pamphlet” a publié principalement des textes concernant les thématiques ordinaires au sein du camp catholique et conservateur, mais chaque fois aussi des textes comportant des allusions anti-sémites, anti-musulmanes et xénophobes, ainsi que des textes faisant l’apologie d’extrémistes de droite comme Jean Marie Le Pen et son Front National. Avant tout, on y lisait régulièrement des propos polémiques envers les personnes qui luttent contre le racisme, la révision du droit d’asile et du droit des étrangers.

“Le Pamphlet”, fondé par Claude Paschoud, paraît depuis 1970, dont depuis 35 ans. Le feuillet a connu par moments une diffusion plus importante (2’000 exemplaires). C’était en 1986, à l’époque ou Mariette Paschoud, enseignante dans le secondaire, était apparue aux côtés du négationniste Henri Roques à une conférence de presse à Paris et avait émis des “doutes sur l’existence des chambres à gaz et des camps de concentration.” En 1991, elle a failli être nommée major dans le service féminin de l’armée suisse, n’était-ce les protestations politiques qui ont entouré cette promotion. Un procès en diffamation entrepris par Mariette Paschoud contre le rédacteur du “Bieler Tagblatt” a fini par se retourner contre la négationniste. Le conseil fédéral a estimé dans un jugement qui fait encore référence aujourd’hui que: “La revendication d’une preuve sur l’existence des chambres à gaz est tellement absurde, au vu de la masse de preuves disponibles, que, même si d’autres motifs sont théoriquement envisageables, la sympathie pour le régime national-socialiste s’impose de façon évidente et suffit comme preuve de vérité. Surtout si l’on tient compte dans la conclusion d’éléments telles que des actions et propos tenus, ainsi que d’intentions et de motivations, qui ne représentent néanmoins pas une preuve scientifique.”

Au cours des dernières années, le journal a plusieurs fois vu diminuer ses abonnés. Depuis quelques années, “Le Pamphlet” est également consultable sur internet, un moyen pour la rédaction de faire face à la baisse constante des abonnés.

Recht + Freiheit (Droit et Liberté), Ernst Indlekofer

Ceux qui sont encore capable de réfléchir, affirme Ernst Indlekofer, constateront que “les hauts cris poussés contre l’extrémisme de droite détourne l’attention des vrais coupables”. Et pour le rédacteur bâlois de Recht + Freiheit, condamné pour négation de l’holocauste, les véritables coupables ce sont depuis toujours les Juifs et les Franc-maçons. Au nombre des thèmes récurrents figurent diverses attaques contre la norme de droit pénal contre la discrimination raciale, la contestation de la responsabilité allemande dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, ainsi que diverses prises de position en faveur de négationnistes.

Durant l’été 2006, Indlekofer a ajouté à sa publication un tract “Das ARG muss weg!” (la norme pénale contre la discrimination raciale doit être supprimée). Avec ce pamphlet, Indlekofer voulait se rendre compte qui soutiendrait l’initiative populaire sur la suppression de la norme pénale contre la discrimination raciale et pour l’annulation de la convention de l’ONU contre le racisme. Ce projet n’a semble-t-il pas abouti. Dans tous les cas, Indlekofer n’en a pas reparlé dans son petit journal. Inculpé pour infraction conte la norme pénale sur la discrimination raciale, Indlekofer a obtenu fin mars un succès judiciaire. Le tribunal correctionnel a suspendu le procès ouvert en 1998, parce que les autorités d’enquête n’avaient pas respecté la clause constitutionnelle des “délais raisonnables”, même si certains chefs d’accusation n’étaient pas encore prescrits. En clair: la procureure Eva Eichengerger a bâclé le procès. La procureure et Indlekofer ont tous deux fait appel contre l’abandon de la procédure (en raison des frais). Mais neuf mois après le traitement judiciaire, le jugement du tribunal correctionnel de Bâle est toujours en attente. Concernant son procès, Indlekofer a publié une édition spéciale de “Recht + Freiheit” le 23 mars 2006, où il documente son “commentaire final” devant le tribunal.

Officiellement, l’organe “Recht + Feiheit” est publié par un “Presseclub Schweiz”, mais de facto, c’est bien le bâlois Ernst Indelkofer, maintenant âgé d’une soixantaine d’années, qui est largement responsable de ce cahier d’une dizaine de pages par édition. En 2006, outre “l’édition spéciale”, quatre numéros sont parus, quoique le quatrième cahier soit numéroté “No 4-6”. Parmi les auteurs suisses, l’on recense Max Disteli (Olten), Felix Berger (Zurich), Alex Brunner (Wetzikon) et le “Prof. Dr. Jur. Hans Ulrich Walder” (Sempach, LU).

Le “Presseclub Schweiz” a tenu son assemblée générale le 22 juillet 2006 à un endroit inconnu, et comme les années précédentes, les membres devaient préalablement demander leur carte d’invitation personnelle.

MIHAG – Militärhistorische Arbeitsgemeinschaft

Au cours de l’année écoulée, la Militärhistosiche Arbeitsgemeinschaft ne s’est pas manifestée.

La Militärhistorische Arbeitsgemeinschaft (MIHAG) a été créée au milieu des années 90 et dispose d’une case postale à Hinterkappelen dans la région de Berne. Cette société est plutôt discrète et on ignore de combien de membres elle se compose. Il est toutefois avéré que son représentant, le pâtissier-confiseur bernois Stefan Kernen, prend régulièrement part à des rencontres amicales entre anciens Waffen-SS et qu’il y est considéré comme un “camarade suisse” ou un “sympathisant confédéré”.

Portails d’information

En Suisse, la mouvance d’extrême droite ne dispose que de peu d’accès aux médias, en particulier aux médias imprimés. Mais au fil des ans sont apparus des supports d’information comme la “Freie Stimme” (respectivement Altermedia Schweiz), Altermedia Suisse et Novopress Suisse. En 2006, deux de ces portails d’information n’étaient alimentés plus que de façon irrégulière. Le responsable de Freie Stimme/Altermedia Schweiz s’est trouvé confronté à un mandat de perquisition en automne 2005, ce qui semble avoir atténué son besoin d’informer. Altermedia Suisse a également publié peu d’information sur le net en 2006. Seule Novopress Suisse a présenté une certaine continuité. Ce portail a transmis en particulier les communiqués de presse des Identitaires romands.

Organisations politiques

Ces dernières années, les extrémistes de droite ont aussi tenté de constituer des partis politiques dans le but de participer aux élections. La plupart de ces projets on généralement fait long feu, à l’instar du Parti national suisse (NPS) de David Mulas. Le parti nationaliste suisse (PNOS) constitue la seule exception et s’est doté entre temps de structures solides. A Bâle, Eric Weber s’est présenté comme unique candidat de son “Action populaire contre trop d’étrangers et de demandeurs d’asiles dans notre patrie” en participant au deuxième tour des élections pour le conseil exécutif de la ville. Largement battu, Weber a obtenu 2530 voix et de ce fait la troisième place. Il a néamnoins volé la vedette à la populaire représentante du Schweizerischen Bürger Partei (SBP), une dissidence de l’UDC de Bâle-ville. Weber a une longue carrière dans les milieux d’extrême droite. En 1986, il a été élu au Grand conseil sur la liste de l’Action nationale, d’où il est bientôt ressorti en raison de ses comportements désagréables. Après son retrait du Grand conseil, il a déménagé pour plusieurs années en Allemagne, où il a cherché à travailler comme journaliste. Au début des années 90 il avait été jugé pour irrégularités lors des élections. En 2003, il a participé aux élections nationales, en 2004 aux élections du Grand-conseil de Bâle-ville, toujours sur la liste des Démocrates Suisses (DS). Lors de ces dernières élections, Weber a cherché à acheter des bulletins de vote a été éliminé.

L’opposition nationale extraparlementaire (Napo) ne s’est plus manifestée en 2006, alors que l’année précédente elle avait encore organisé deux manifestations. Même le portail internet de la NAPO, qui n’avait plus été remis à jour depuis longtemps, a fini par disparaître du net. Conformément à son “programme d’action”, le but de la NAPO est de “perturber le pouvoir des médias dans notre système politique et de préparer un changement de pouvoir en Suisse dans le sens d’un Etat populaire”. Cela implique notamment l’expulsion des résidents d’origine non-européenne, car la NAPO considère que “les personnes d’une autre culture et d’une autre race qui vivent dans notre pays et en Europe comme des occupants civils”. Le programme précise que la NAPO “se mobilise pour le rapatriement des persones d’autres races et d’autres cultures”. Parmi ses “visions”, le parti évoque des familles nombreuses de race blanche. Il s’agit donc d’un texte clairement raciste. Toutefois le négationniste et représentant de la NAPO Bernhard Schaub continue à être actif, de même que la page internet de la “Reichsbewegung” continue à s’afficher. La NAPO se considérait à l’époque comme la branche suisse de cette organisation.

Parti nationaliste suisse (PNOS)

Comme d’autres partis politiques, la Parti nationaliste suisse affirmait à la fin de l’année sa confiance en l’avenir. Le comité directeur du parti annonçait début 2006 sur sa page internet que: “le parti a pris de la distance d’avec le poids du passé et décidé de suivre une nouvelle orientation idéologique. En se distançant de l’idéologie nationale-socialiste, il prenait enfin la voie longtemps attendue de la modernité.” La clairvoyance n’était cependant pas l’unique élément déclencheur de ce revirement: le procès pour infraction contre la norme pénale sur la discrimination raciale y a certainement contribué. Plusieurs membres du comité directeur du parti ont été jugés en première instance, et peu avant l’audience publique devant le tribunal de district d’Aarau, les accusés ont retiré leur recours, de sorte que les condamnations sont entrées en vigueur.

Dans son nouveau programme, le PNOS prétend qu’il s’oppose au “socialisme helvétique”. Dans les faits, le parti critique sans cesse les inégalités sociales qui font partie intégrante du capitalisme. Elle veut surmonter cette contradiction par la proclamation d’un “Volksganzen”, exactement comme l’on fait les partis d’extrême droite entre les deux guerres. Le nouveau programme a maintenu une clause discriminatoire: “Les étrangers d’une autre culture ne peuvent obtenir qu’exceptionnellement la citoyenneté suisse”. A savoir, les résidents d’origine asiatique ou africaine ne peuvent pas être naturalisés et doivent quitter la Suisse car: “Celui qui vit en Suisse sans être citoyen a un statut d’hôte et ne peut résider que pour une période limitée sur le territoire.” En outre, le parti réclame un état autoritaire. Certes, le gouvernement (soit un Landammann et son représentant) doit être élu par le peuple, mais avec un mandat illimité et un pouvoir décisionnel étendu. Le Landammann doit ensuite élire les conseillers fédéraux ainsi que les juges fédéraux. Là aussi, le PNOS suit la même logique que les organisations frontistes des années 1930. Comme eux, le PNOS réclame également une interdiction de la Franc-maçonnerie, car “ceux qui appartiennent à des Loges et à des sociétés poursuivent forcément d’autres buts que l’Etat”. Tout cela indique que si l’enveloppe extérieure du PNOS a changé, le noyau de ses convictions est resté le même.

Un coup d’oeil jeté au journal du parti “Zeitgeist” illustre bien la continuité de cette idéologie. En 2006 également sont parus des articles xénophobes, antisémites et anti-islamiques. Un certain “Kamal Samdhi” prétend que “l’holocauste est le seul tabou vraiment intangible en Occident”, et qu’il est devenu une “pseudo-religion négative”, qui ne s’intéresse pas à transmettre des valeurs mais “à faire des gens durablement des esclaves de leur culpabilité en raison d’une vision de l’histoire réduite à un seul événement, sur lequel des doutes subsistent”. Si l’on prend les textes du “Zeitgeist” comme référence, l’attitude du PNOS vis-à-vis de l’Islam est ambiguë. Le “Zeitgeist” prétend combattre les musulmans européens, et pourtant il soutient les musulmans dans leur résistance à Israël et dans leur critique du capitalisme occidental.

Le PNOS prétend avoir augmenté son nombre d’adhérents de plus de 30%. Ces informations sont invérifiables. Il est toutefois clair que le parti a créé en 2006 trois nouvelles sections – Willisau, Küssnacht-am-Rigi et Berner Oberland. Il a pris deux fois part, sans succès, aux élections. Lors des élections du printemps 2006 au Grand conseil bernois, Dominic Lüthard et Tobias Hirschi se sont présentés dans le district d’Oberaargau. Le parti a obtenu un pourcentage insignifiant de 2% des voix. Aux élections du conseil communal de la localité de Roggwil, le PNOS a obtenu 5% des voix: 46 électeurs ont déposé une liste intégrale du PNOS dans l’urne, tandis que 37 électeurs ont modifié la liste du PNOS. Le seul candidat était en l’occurrence Dominic Lüthard, membre du PNOS et chanteur du groupe “Indiziert”.

Dans un proche avenir, le parti prévoit le développement de sa structure interne. Il s’agira en outre de “soigner un contact actif avec les pays voisins afin de présenter sur un plan plus largement européen un front uni contre le capitalisme, le pillage et le despotisme”. Les trois exemples suivants donnent assez clairement une idée de quoi il s’agit. Lors de l’assemblée générale du parti à Wauwil, Thomas Gerlach est apparu pour adresser ses vœux au PNOS au nom du NPD, du KDS (Kampfbund Deutscher Sozialisten) et des forces libres de Saxe et de Mecklembourg-Poméranie. Mi-décembre 2006, une délégation du PNOS a pris part à la séance de fondation de la section Bodensee des Jungnationaldemokraten, l’organisation des jeunes membres du NPD, à Friedrichshafen. Enfin, Denise Friedrich, seule femme au comité directeur du parti a présenté une conférence sur la “femme nationale”, qui d’une part doit assumer son rôle de mère, d’autre part doit s’émanciper et participer à la vie politique, à l’image d’organisations comme le “Ring-Nationaler-Frauen”, la “Gemeinschaft-Deutscher-Frauen” et la “Mädelring Thüringen”, toutes des organisations dans la mouvance du Nationaldemokratischen Partei NPD allemand et de la Freien Kameradschaften.

Négation de l’Holocauste

Les révisionnistes nient trois faits historiques patents: premièrement qu’un plan destiné à éliminer les Juifs d’Europe ait été élaboré, deuxièmement que des chambres à gaz aient été construites pour éliminer les victimes et, troisièmement, que la persécution des Juifs par les nazis se soit soldée par la mort de plusieurs millions de victimes. A l’automne 2005, une bonne part de l’infrastructure des révisionnistes a été anéantie par l’arrestation de Germar Rudolf. Avec l’interdiction de sa maison d’édition active en deux langues, la plus importante des publications négationnistes paraissant en allemand et en anglais a disparu. De nombreux promoteurs importants du négationnisme comme Germar Rudolf et Ernst Zündel ont été traduits en justice en 2006. Fin 2006, les jugements définitifs n’avaient pas encore été rendus.

Malgré cette grave crise, les négationnistes prétendent être optimistes pour l’avenir. La raison en est la conférence sur l’holocauste qui s’est tenue à Téhéran mi-décembre 2006. Elle a été organisée début 2006 par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, et a réuni principalement des extrémistes de droite et des négationnistes, mais également quelques juifs anti-sionistes. La conférence poursuivait deux buts principaux: d’une part la mise en cause ou la banalisation de l’holocauste, d’autre part la tentative de saper la légitimité de l’état d’Israël. Au terme de cette conférence, certains participants ont créé une commission composée principalement de négationnistes, dont le Suisse Bernhard Schaub, dont l’objectif est de créer une fondation et d’organiser d’autres conférences. On ne sait pas quelle suite aura cette initiative. En fait l’Internationale négationniste est en crise de puis des années, parce que ses thèses mensongères et intellectuellement indéfendables n’ont pas réussi à convaincre en dehors du cercle restreint des extrémistes de droite.

Les premiers extrémistes de droite sont apparus au grand jour dans les années 1990. Pendant la campagne référendaire contre l’introduction de la norme pénale sur la discrimination raciale, les quatre orateurs principaux, Jürgen Graf, Arthur Vogt, Andres J. Studer et Bernhard Schaub ont organisé un forum appelé “Groupe de travail pour la dé-tabouisation de l’histoire contemporaine”, rebaptisé plus tard “Groupe de travail et de recherche en histoire contemporaine”. Dans la deuxième moitié des années 1990, l’AEZ a réduit ses activités, suite à quoi le négationniste alémanique et ses camarades romands ont créé l’association “Vérité et Justice”. Cette association a été dissoute en mars 2002 par le tribunal de district de la Veveyse à Châtel-Saint-Denis et a depuis cessé toute activité.

Les négationnistes suisses – à l’exception de Bernhard Schaub et Philippe Brennenstuhl – ne pouvaient plus développer d’activité en suisse à partir de 2006. Jürgen Graf et Andres J. Studer ont quitté la Suisse pour échapper à des peines de prison fermes. Ils semblent qu’ils aient cessé d’exercer une influence sur les milieux d’extrême droite en Suisse.

Bernhard Schaub

Mi-décembre, Bernhard Schaub a fait une apparition remarquée à Téhéran, comme orateur invité à la “Conférence sur l’holocauste”. Dans son allocution Schaub a félicité comme premier président du “Verein zur Rehabilitierung des wegen Bestreitens des Holocausts verfogten (VRBHV)” le président iranien pour avoir ouvert “la lutte contre le mythe de l’holocauste”. Schaub a parlé d’un “ramassis de propagande” destiné à intimider une Allemagne désarmée depuis soixante ans. Il a conclu son discours avec un appel: “Les négationnistes européens aimeraient clamer à tous ici dans le monde islamique que nous avons le même ennemi”. Il s’agit “du corrupteur de l’humanité qui avec l’aide des unités de combat américaines veut soumettre le monde entier au capital juif, et annihiler tous les peuples, cultures et religions indépendantes”. En clair: Schaub reprend le discours antisémite nazi. Schaub a toutefois trouvé des termes élogieux pour qualifier l’action du conseiller fédéral Christoph Blocher et de son parti, l’Union démocratique du centre. Blocher aurait fait, selon Schaub, un “grand pas” en annonçant qu’il voulait rayer du code pénal l’article sur la négation du génocide et que le parti avait décidé également de lancer une initiative contre la norme pénale sur la discrimination raciale. Le négationniste accueillait ces déclarations comme des “signes encourageants”.

Sinon, Schaub ne s’est pas fait particulièrement remarquer par ses activités en 2006, si ce n’est qu’il a distribué fin octobre dans les boîtes aux lettres de sa région des centaines de tracts en faveur du “Vereins zur Rehabilitierung des wegen Bestreitens des Holocausts Verfolgten” (VRBHV). Une action qui lui a valu une procédure pénale pour infraction à la norme pénale sur la discrimination raciale.

Par ailleurs, Schaub poursuit son activité indépendante comme formateur d’adultes. Agé de 52 ans, il propose toute une série de manifestations: “Ghibellinum – séminaire de philosophie, de gymnastique et de récitation” s’intitule l’un de ces cours qui a lieu trois fois par semaine. Il y a encore un “Cercle d’études philosophique”, un cercle cinématographique et une série de conférences “Art et poésie”. Le but du cercle cinématographique est de “rendre publiques des recherches et documentations historiques actuelles qui sont censurées par les grands médias”. Naïf qui ne songe pas d’emblée à la négation de l’holocauste. Il est difficile de savoir combien de personnes sont intéressées par cette offre. Schaub exerce en outre sa “gymnastique nordique”. Nordique signifie que cette gymnastique pratique “des mouvements adaptés à la morphologie des gens d’Europe septentrionale”. Elle s’appuie sur une démarche développée par Graf Fritz von Bothmer et Hinrich Melau. Von Bothmer était un anthroposophe et Hinrich Melau le fondateur d’une “gymnastique allemande”, très répandue auprès des jeunes filles sous le troisième Reich.Philippe Brennenstuhl

L’un des rares extrémistes de droite à s’être manifesté bruyamment le 1er août au Grütli était le négationniste romand Philippe Brennenstuhl, qui s’était montré l’année précédente aux côtés d’un skinhead connu du groupe “Blood and Honour”. Lorsqu’il s’est fait arrêter par le cordon de policiers, il a expliqué qu’il souhaitait faire un discours patriotique sur le Grütli.

Une “secte internationale – les Franc-maçons, déclare Brennenstuhl, s’est donnée pour mission d’exploiter et de soumettre les gens par le matérialisme, par l’internationalisation du commerce et le monopole des biens et des services (comme par exemple les mass-médias!), avec pour but ultime la création d’un gouvernement mondial en mains américano-sionistes”. Jusqu’à l’époque actuelle, les Franc-maçons ont canalisé à leur profit la plupart des ressources politiques, financières, intellectuelles et religieuses de ce monde.”

Brennenstuhl, qui a commencé sa carrière dans le milieu de l’extrême droite en Suisse en février 1999 comme membre du comité de l’association “Vérité et Justice” est aujourd’hui un combattant isolé, qui s’emploie à chicaner les autorités avec des requêtes absurdes. Il a publié sous forme de brochure un commentaire sur cet échange de correspondance.

Conclusion

L’extrémisme de droite en Suisse en 2006 reste une réalité politique et sociale. Même si ce milieu reste marginal, il n’a jamais été numériquement aussi fort depuis 1945.

La subculture des skinheads à tendance nazie, proportionnellement le groupe le plus important en 2006, n’a connu qu’une faible croissance en 2006. C’est avant tout dans les petites villes et les villages que sont apparues des cliques ou groupuscules d’extrême droite, qui se posent en ennemis aussi bien des “gauchistes” que des “étrangers”. La subculture skinhead-nazie dispose d’une offre stable de manifestations, généralement sous forme de groupes de musique et de concerts.

Ces organisations ou individus contribuent continuellement à la formation d’une idéologie d’extrême droite par des activités politico-culturelles, sans toutefois participer à la politique institutionnelle.

La mouvance d’extrême droite dispose néanmoins d’un parti politique, le parti nationaliste suisse (PNOS). Depuis 1945, aucun parti/groupe d’extrême droite ne s’était maintenu aussi longtemps.

Les négationnistes suisses ne se sont plus manifestés, à l’exception de deux individus menant un combat isolé. Toutefois la pensée négationniste, à savoir la négation ou la minimisation de l’holocauste, est parvenue à s’imposer auprès d’une partie du public d’extrême droite.

Lucerne, 8 janvier 2007 Hans Stutz